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A curva da estrada (Le tournant de la route)

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"A morte é a curva da estrada,
Morrer é só não ser visto.
Se escuto, eu te oiço a passada
Existir como eu existo."






Manoel de Oliveira (Porto,11 décembre 1908 - Porto, 2 avril 2015)
 











Images : en haut, Non, ou la vaine gloire de commander de Manoel de Oliveira

au centre, Val Abraham, de Manoel de Oliveira

en bas, Lisbon Story, de Wim Wenders



Le début et la fin du film de Manoel de Oliveira Acto da Primavera [Le Mystère du printemps], 1963

Quando corpus morietur

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In memoriam Claudio Abbado et Lucia Valentini-Terrani





Guido Mazzoni (1450–1518) est un peintre et sculpteur spécialisé dans la réalisation des Compianti [Lamentations], ces compositions de statues polychromes grandeur nature en terre cuite représentant les personnages dont les textes sacrés mentionnent la présence autour du Christ mort. Le plus célèbre et le plus beau des Compianti est sans doute celui de Niccolò dell’Arca, que l’on peut voirà Bologne, dans l’église de Santa Maria della Vita. Guido Mazzoni en réalisa six : à Busseto (1476-77), à Modène (1477-79), à Crémone (il a malheureusement été perdu), à Ferrare (1483-85), à Venise (1485-89, il n’en reste que des fragments, conservés à Padoue), à Naples (1492, pour l’église de Monte Oliveto). 




Le Compianto de Busseto auquel est consacré ce message se trouve dans l’église Santa Maria ; c’est le premier que Mazzoni a réalisé, en 1476-77. Je reprends ici la description qu’en fait Giovanni Reale dans l’ouvrage Il Pianto della statua [Les Pleurs de la statue], écrit en collaboration avec Elisabetta Sgarbi et publié en 2008 aux éditions Bompiani : 

« Les personnages réunis autour du Christ mort suivent l’ordre traditionnel : le premier (sur la gauche) est Joseph d’Arimathée, suivi de Saint Jean l’Évangéliste, Marie Salomé, la Madone, Marie de Cléophas, Marie-Madeleine et Nicodème. 
Joseph d’Arimathée et Nicodème (qui ont peut-être les traits des commanditaires de l’œuvre) encadrent le groupe, comme les deux bords d’un cadre. Joseph tient à la main les clous, tandis que Nicodème a un marteau dans la main droite et une paire de tenailles enfilée dans sa ceinture. 
Tous les personnages expriment leur douleur, qui devient donc une "douleur chorale", même si elle reste plutôt mesurée. Les expressions sont uniformes, avec une certaine accentuation chez Marie de Cléophas, et surtout chez Marie-Madeleine, comme nous le verrons. 
Dans ce premier Compianto de Mazzoni, la douleur s’exprime déjà non seulement par le cri et les pleurs, mais aussi par les positions particulières des corps et les mouvements des bras et des mains. Bien avant la psychologie moderne, les artistes avaient depuis longtemps compris que notre corps possède un langage précis, avec lequel il manifeste des sentiments et les exprime d’une façon qui peut-être très forte. 




On remarquera en particulier que chez la Madone, c’est toute la personne qui parle. Elle est agenouillée, les mains serrées avec les doigts entrelacés ; sa tête est penchée et son regard désolé est fixé sur son fils. Le cri, même s’il est contenu, le corps ainsi représenté et les mains jointes expriment très bien la douleur de la mère, avec un réalisme puissant et délicat.






La douleur est aussi parlante chez Marie-Madeleine ; elle passe par le cri, plus accentué que chez les autres personnages, mais aussi par le corps, légèrement penché, et par le mouvement des bras et des mains. Dans la bouche ouverte pour le cri, Mazzoni met en évidence la langue. Toutefois, l’expression de la douleur de la femme n’accède pas à une dimension expressionniste, comme c’est le cas chez Niccolò dell’Arca ; il demeure ici purement réaliste, et attaché à la grammaire et à la syntaxe classiques de la "juste mesure".






On remarquera aussi le cri de douleur exprimé par le personnage de Marie de Cléophas et le mouvement des mains qui cherchent à se cramponner à son vêtement comme pour prévenir une chute.




Il faut enfin noter l’impact émotionnel suscité par la présence des larmes sur les visages de Marie-Madeleine, de Marie de Cléophas et de la Madone. »









Sur le même thème, on peut lire dans ce blog :

Le Jour des pleurs (sur les Compianti de Guido Mazzoni à Modène et Bologne)

Les Larmes de la statue (sur le Compianto de Niccolò dell'Arca à Bologne)


Images : en haut, deuxième image,  Site Flickr




"Stabat mater dolorosa Juxta crucem lacrimosa dum pendebat Filius."

"Quando corpus morietur, fac ut animae donetur, Paradisi gloria."

Pasqua (Pâque)

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Ditemi : in cosa differisce
Questa sera dalle altre sere ?
In cosa, ditemi, differisce
Questa pasqua dalle altre pasque ?
Accendi il lume, spalanca la porta
Che il pellegrino possa entrare,
Gentile o ebreo :
Sotto i cenci si cela forse il profeta.
Entri e sieda con noi,
Ascolti, beva, canti e faccia pasqua.
Consumi il pane dell’afflizione,
Agnello, malta dolce ed erba amara.
Questa è la sera delle differenze,
In cui s’appoggia il gomito alla mensa
Perché il vietato diventa prescritto
Così che il male si traduca in bene.
Passeremo la notte a raccontare
Lontani eventi pieni di meraviglia,
E per il molto vino
I monti cozzeranno come becchi.
Questa sera si scambiano domande
Il saggio, l’empio, l’ingenuo e l’infante,
E il tempo capovolge il suo corso,
L’oggi refluo nel ieri,
Come un fiume assiepato sulla foce.
Di noi ciascuno è stato schiavo in Egitto,
Ha intriso di sudore paglia e argilla
Ed ha varcato il mare a piede asciutto :
Anche tu, straniero.
Quest’anno in paura e vergogna,
L’anno venturo in virtù e giustizia.

Primo Levi  Ad ora incerta  Garzanti Editore, 1984 






Dites-moi : en quoi ce soir
Est-il différent des autres soirs ?
En quoi, dites-moi, cette Pâque
Est-elle différente des autres Pâques ?
Allume la lampe, ouvre grand la porte
Pour laisser entrer le voyageur,
Qu'il soit Gentil ou Juif :
Sous ses haillons se cache peut-être le prophète.
Qu'il entre et prenne place parmi nous,
Qu'il écoute, qu'il boive, qu'il chante et célèbre la Pâque.
Qu'il mange le pain de l'affliction,
L'agneau, la glaise douce et les herbes amères.
C'est le soir des différences,
Où l'on appuie le coude sur la table
Parce que ce qui est défendu devient permis
Afin que le mal se change en bien.
Nous passerons la nuit à conter
Des faits anciens tout emplis de prodiges, 
Et à cause du vin trop bu
Les montagnes sembleront s'entrechoquer comme des boucs.
Ce soir s'échangent des questions
Le sage, l'impie, l'ingénu et l'enfant,
Et le temps inverse son cours,
Le présent reflue dans le passé,
Comme un fleuve obstrué reflue vers son embouchure.
Chacun de nous a été esclave en Egypte,
A baigné de sa sueur la paille et l'argile
Et a traversé la mer à pied sec :
Toi aussi, étranger.
Cette année dans la peur et la honte,
L'an prochain dans la vertu et la justice. 

(Traduction personnelle)











 Merci à Jules Pajot pour les photographies  (Site Flickr)



Tutto si dissolverà (Tout se dissoudra)

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Franco Battiato canta La Porta dello spavento supremo (con la voce di Manlio Sgalambro) 
Testo : M. Sgalambro, F. Battiato et C. Wieck  
Musica : F. Battiato, 2004 

Quello che c’è ciò che verrà 
ciò che siamo stati 
e comunque andrà 
tutto si dissolverà 

Nell’apparenza e nel reale 
nel regno fisico o in quello astrale 
tutto si dissolverà 

Sulle scogliere fissavo il mare 
che biancheggiava nell’oscurità 
tutto si dissolverà 

Bisognerà per forza 
attraversare alla fine 
la porta dello spavento supremo




Ce qui est, ce qui sera
ce que nous avons été
et quoi qu'il advienne
tout se dissoudra

Dans l'apparence et dans la réalité
dans le règne physique ou astral
tout se dissoudra

Sur les rochers je fixais la mer
qui blanchissait dans l'obscurité

Il faudra forcément
franchir à la fin
la porte de la frayeur suprême 






Images : en haut, Jonathan  (Site Flickr)

en bas, Federica Andreone  (Site Flickr)

Il Pastore (Le Berger)

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Quasi era buio,
e ritornò il pastore alla sua casa,
a passo lento,
insieme al gregge stanco.
E nello sguardo,
perduto in lontananza,
un ondeggiar di prati
e tra l'azzurro
un lieve galleggiar di nubi bianche.

Il lungo e lento silenzio andare
ha consumato in lui tante passioni,
non è rimasto che saggezza e amore,
e tanto basta per riempire un cuore.

Paola Cannas  Respiri e sospiri  Felici Editore, 2013


Il faisait presque nuit,
et le berger rentra chez lui,
à pas lents,
avec son troupeau fatigué.
Et dans son regard,
perdu dans le lointain,
un ondoiement de prairies
et dans l'azur
une flotte légère de nuages blancs.

Le long et silencieux passage du temps
a consumé en lui tant de passions,
il n'est resté que de la sagesse et de l'amour,
et cela suffit à remplir un cœur. 

(Traduction personnelle) 






Images : en haut, Vittorio Poli  (Site Flickr)

en bas, Claudio Laddaga  (Site Flickr)



Lombardia

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Herbert Pagani chante Lombardia, une adaptation italienne du Plat pays, de Jacques Brel  :

Qui l'arpa della pioggia per mesi suonera'
ed un'infinita' di nebbia scendera'
e vedrai coprira' tutto intorno a noi
e anneghera' il tuo cuore anche se non vuoi
perche' d'autunno piove qui e non smette mai
se vieni su da me vedrai ti abituerai
in Lombardia che e' casa mia

Vedrai la cattedrale che sembra una montagna
con mille guglie bianche che la luna bagna
e dei diavoli in pietra che sputano alle stelle
e che graffiano il cielo con gesti di zitelle
son secoli che fanno le stesse smorfie ormai
se vieni su da me vedrai ti abituerai
in Lombardia che e' casa mia

Qui il cielo e' cosi' grigio che sembra venga giu'
qui il cielo e' cosi' basso che insegna l'umilta'
e' cosi' grigio che il naviglio anneghera'
e' cosi' basso che il naviglio non c'e' piu'
il vento qui si invita ai funerali sai
se vieni su da me vedrai ti abituerai
in Lombardia che e' casa mia

Ma quando il primo fiore dal fango nascera'
e fra le ciminiere il pioppo cantera'
capirai che a novembre noi dobbiamo pagare
quel che maggio promette e giugno ci puo' dare
fra i grattacieli e i tram l'estate scoppiera'
se vieni su da me vedrai ti piacera'
la Lombardia che e' casa mia
  



Ici la harpe de la pluie jouera pendant des mois
et une infinité de brouillard s'étendra
et tu verras qu'il recouvrira tout autour de nous
et qu'il noiera ton cœur même si tu ne le veux pas
parce que l'automne ici la pluie ne cesse pas
si tu viens me rejoindre tu t'y habitueras,
en Lombardie, qui est mon pays...








Images : en haut et en bas, (2) Antonio Romei  (Site Flickr)

en bas, (1) Gian Mario Zanini  (Site Flickr)

Un lu sapiti (Vous ne le savez pas)

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Rosa Balistreri chante Un lu sapiti [Vous ne le savez pas ]




 
Un lu sapiti l’amuri ca v’haiu
un lu sapiti quantu vi disiu
un lu sapiti comu chiangiu e staiu
quann’è ca pun mumentu nun vi viu.

Dintra di l’arma mia na vampa cci haiu
e lu me cori è vostru e non lu miu
si moru ‘nparadisu nun ci vaiu
pirchì p’amari a vui nun pensu a Diu.

E vui sapennu st’amuri e sti peni
mi lassati muriri comu ‘ncani
ma oggi siddu cc’è cu vi tratteni
speru di cunvincirivi dumani.

Cchiù nun m’amati e cchiù vi vogghiu beni
chiù tempu passa e mannu cristiani
un mi lassati amuri ‘ntra sti peni
pirchì siti ppi mia l’acqua e lu pani.


Vous ne le savez pas


Vous ne savez pas combien je vous aime
ni combien je vous désire,
vous ne savez pas combien me pèse
chacun des instants que je passe loin de vous.

En moi, je sens un feu qui brûle
mon cœur vous appartient, il n'est plus à moi,
si je meurs, je n'irais pas au paradis
car pour vous aimer, j'ai oublié Dieu.

Vous connaissez mon amour et ma peine
et vous me laissez mourir comme un chien,
mais si aujourd'hui, certains vous retiennent,
j'espère bien vous convaincre demain.

Moins vous m'aimez et plus vous m'êtes cher,
plus le temps passe, et plus je pense à vous,
ne me laissez pas souffrir toutes ces peines,
parce que pour moi, vous êtes l'eau et le pain.

(Traduction personnelle)


 
 
 
 
Images : en haut, Site Flickr

en bas, Site Flickr



Un pensoso incanto (Un charme pensif)

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Le texte que je cite ici est extrait d'une conférence prononcée en mai 1955 dans plusieurs villes de Suisse par l'écrivain et juriste Piero Calamandrei. Intitulé Parlare di Firenze (Parler de Florence), le texte de cette fort belle conférence a été récemment publié, dans un élégant volume de grand format, en version bilingue et accompagné de belles illustrations, aux éditions de la revue Conférence.

Dolce città, Firenze, piena di incanto ; ma è un pensoso incanto. Non è un incanto fatto per stordirsi e per dimenticare ; ma è un incanto consapevole, responsabile. Anche il paesaggio toscano, con quelle pietre e quei cipressi e quegli ulivi, è un paesaggio pieno di limpida grazia, ma anche di chiaroveggente mestizia. Non per nulla i cipressi che sono gli alberi fatti per le ville sono anche gli alberi fatti per i viali dei cimiteri. La gente toscana, è stato osservato giustamente, si è sempre inorgoglita di guardare in viso la morte. Il pensiero della morte è come disciolto nell'aria di questo paesaggio cristallino.

Quant'è bella giovinezza
che si fugge tuttavia :
chi vuol esser lieto sia
del diman non v'è certezza.

Racconta Vespasiano da Bisticci che Cosimo il Vecchio, nei suoi ultimi anni talvolta, concentrandosi a pensare, stava in silenzio per ore intere. La moglie gli chiedeva perché stesse così zitto. E lui le rispondeva : «Quando tu hai da andare in villa, tu stai quindici di impacciata per ordinare questa andata : avendo io da partirmi da questa vita e andare per l'altra, non ti pare che egli vi sia assai da pensare ?»

Era costume antico in Toscana, e se ne vedono ancora esempi a Cortona e a San Gimignano, costruire in ogni casa, accanto alla porta da cui entravano e uscivano gli uomini vivi, un'altra porta più piccola, un po' rialzata da terra, larga tanto quanto bastasse per farvi passare una bara : si chiamava la «porta del morto» : stava sempre chiusa e s'apriva soltanto i dì dei funerali. La porta del morto : un accessorio, un servizio indispensabile della casa dei vivi : come la culla o il desco o il focolare. E anche nelle arti figurative, nella pittura e nella scultura, nei marmi funebri del Rinascimento, e perfino nei canti carnascialeschi, vita e morte compongono una sola allegoria, e si trovano intrecciate in un'unica danza di puttini e di scheletri.

Piero CalamandreiParlare di Firenze   Éditions de la revue Conférence, 2010





Douce ville que Florence, et pleine de charme ; mais c'est un charme pensif. Il n'est pas fait pour s'étourdir et oublier : c'est un charme traversé de conscience, de mémoire, de responsabilité. Même le paysage toscan, avec ses pierres, ses cyprès et ses oliviers, est un paysage rempli d'une grâce limpide – mais c'est aussi d'une tristesse lucide. Ce n'est pas pour rien que les cyprès, qui sont faits pour les villes, sont aussi des arbres faits pour les allées des cimetières. Le peuple de Toscane, a-t-on remarqué avec justesse, s'est toujours glorifié de regarder la mort en face. La pensée de la mort est comme répandue dans l'air de ce paysage cristallin.

Oh, comme la jeunesse est belle
Qui cependant se fait la belle ;
On veut être heureux ? Qu'on s'y tienne :

Vespasiano da Bisticci raconte que Cosme l'Ancien, dans ses dernières années, restait parfois plongé dans ses pensées durant des heures, dans le plus profond silence. Son épouse lui demandait pourquoi il était aussi silencieux. Il lui répondait : «Quand tu dois te rendre à la campagne, tu restes des heures pour arranger le voyage ; et quand j'ai à quitter cette vie pour aller dans l'autre, ne crois-tu pas qu'il y ait beaucoup à penser ?»




C'était une coutume ancienne en Toscane – on en voit encore des exemples à Cortone et à San Gimignano – de construire dans chaque maison, à côté de la porte par où entraient et sortaient les vivants, une autre porte plus petite, légèrement surélevée, assez large pour laisser passer un cercueil : on l'appelait la «porte du mort». Elle restait toujours fermée et ne s'ouvrait que le jour des funérailles. La porte du mort : un accessoire, un service indispensable dans la maison des vivants, comme le berceau, la table ou la cheminée. Dans les arts figuratifs, dans la peinture et la sculpture, dans les marbres funéraires de la Renaissance, et jusque dans les chansons de carnaval, vie et mort composent une seule allégorie et s'entrelacent en une danse unique de puttis et de squelettes.

 Piero CalamandreiParler de Florence, traduction : Christophe Carraud   Éditions de la revue Conférence, 2010

 






Images : (1)  Gaetano Catalano (Site Flickr)

(2) Site Flickr

(3) Carol Asher (Site Flickr)

(4) Trionfo della morte, Pisa (détail) Site Flickr





L'Invenzione di Morel (L'Invention de Morel)

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I have been here before,

But when or how I cannot tell :
I know the grass beyond the door,
The sweet keen smell,
The sighing sound, the lights around the shore.

Dante Gabriel Rossetti   Sudden Light



"Esta no es hora para cuentos de fantasmas.
"






L’Invenzione di Morel (1974) est l’adaptation du célèbre roman d’Adolfo Bioy Casares ; c’est aussi le premier film d’Emidio Greco, qui n’en réalisera que huit en trente ans. On remarque plusieurs grandes différences entre le roman d’origine et l’adaptation qui en est ici proposée ; on sait par exemple que le livre de Casares se présente comme une sorte de journal intime, celui que le narrateur poursuivi (sans doute pour des motifs politiques) a tenu sur l’île mystérieuse où il a trouvé refuge ; dans le film, le point de vue adopté est au contraire purement objectif, le réalisateur a refusé le principe de la voix off, (omniprésente dans une précédente adaptation de L’Invention de Morel, en 1967, pour la télévision). C’est un choix original et courageux, puisque cela conduit à suivre pas à pas les déplacements du personnage, son désarroi, ses interrogations, sans qu’aucune parole ne soit prononcée dans les trente premières minutes du film. Le réfugié (interprété par Giulio Brogi) est souvent montré comme une sorte d’animal prisonnier, traqué et désemparé, qui s’agite et court dans tous les sens sans parvenir à trouver une issue ou une explication à tous les mystères qui l’assaillent.




Le deuxième changement porte sur la géographie de l’île ; il ne s’agit plus comme dans le livre d’une île tropicale marécageuse à la végétation luxuriante, mais d’un paysage pierreux, avec des falaises crayeuses et une végétation rare, faite de broussailles et d’immortelles (le film a été tourné à Malte). Le réalisateur utilise parfaitement ce très beau décor naturel, caractérisé par l’obsessionnelle présence du soleil et du vent. Au milieu de cette nature méditerranéenne surgissent des bâtiments blancs aux formes géométriques, avec des fenêtres grillagées et d’immenses verrières, dans une architecture rappelant l’expressionnisme ou le futurisme italien du début du vingtième siècle : ce sont les constructions imaginées par Morel pour y conduire sa mystérieuse expérience avec le groupe de personnes qu’il a réuni sur cette île. Les intérieurs du film ont été construits dans les studios de Cinecittà, et la fameuse machine de Morel, avec ses turbines, ses moteurs et ses immenses réflecteurs, est en fait la vraie salle des machines de Cinecittà, à peine transformée. L’atmosphère du film est elle-même très étrange ; on se croirait parfois dans un film fantastique de série B, à la Lucio Fulci ou à la Ruggero Deodato (les trucages rudimentaires, le maquillage grossier du réfugié à la fin du film, et la présence d’acteurs habitués de ces productions, comme John Steiner, qui joue le rôle de Morel), mais on retrouve aussi souvent dans le film des influences beaucoup plus sophistiquées (Antonioni et les souvenirs de l’île de L’Avventura, ou Buzzati pour l’ambiance proche du Désert des Tartares, Fritz Lang (Mabuse, bien sûr, référence d’autant plus évidente que Steiner ressemble à Rudolf Klein-Rogge), Godard (le rôle de Faustine est tenu par Anna Karina, qui est ici utilisée comme une citation vivante...)). On sait d’autre part qu’Emidio Greco est un homme de culture, fin connaisseur de l’œuvre de Borges à qui il a consacré plusieurs documentaires diffusés sur la RAI (notamment Nel labirinto di Borges, réalisé en 1980) ; il n’a sans doute pas eu ici tous les moyens de ses ambitions, mais ce côté parfois "bricolé" du film lui donne aussi a posteriori un certain charme.




Le choix le moins convaincant de Greco et de son scénariste associé, Andrea Barbato, concerne la fin du film : on y voit le réfugié détruire la machine de Morel, et renoncer ainsi à cette sorte d’immortalité factice qu’elle aurait pu lui offrir ; dans le livre au contraire, le personnage acceptait cette ultime consolation, qui lui permettait de rejoindre Faustine dans la même image, même s’il lui était impossible d’entrer dans "le ciel de sa conscience", comme le disent de façon nostalgique les derniers mots du roman. Ce changement me semble hélas trahir la signification profonde du livre ; je me demande s’il n’est pas aussi déterminé par l’ambiance idéologique de l’époque du tournage (les années soixante-dix), où il fallait sans doute par cet ultime sursaut volontariste montrer que le héros savait au dernier moment renoncer à une certaine aliénation par un acte de révolte libérateur... Le film ne résout pas non plus le problème principal que pose l’adaptation du roman de Casares au cinéma : la nécessité de faire nettement percevoir au spectateur la différence entre la réalité du monde du naufragé et la représentation qu’en proposent les images déclenchées de façon cyclique par la machine de Morel ; sur ce point, on peut se demander si ceux qui n’ont pas été le plus près de trouver une solution à cette sorte d’aporie ne sont pas Resnais et Robbe-Grillet dans L’Année dernière à Marienbad, qui, parce qu’elle refuse d’être une adaptation littérale, demeure la plus belle et la plus géniale évocation cinématographique de L’Invention de Morel.




La grande scène des "aveux" de Morel, où l'influence de Fritz Lang est assez évidente...



Images
: (1) Fernando Perez(Site Flickr)

(2) fidicaro(Site Flickr)

Source de la vidéo : Site YouTube

Un souvenir de Lampedusa

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Francesco Orlando a dix-neuf ans quand, en juin 1953, il fait la connaissance à Palerme de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, qui n’est pas encore le génial auteur d’un unique roman, Le Guépard. Orlando est alors un étudiant en droit peu passionné, avant d’opter pour les lettres et de devenir un critique littéraire renommé et un grand professeur de langue et de littérature françaises, en particulier à la prestigieuse Scuola Normale Superiore de Pise. 
Pendant quatre années, jusqu’à la mort de Lampedusa en 1957, Orlando va suivre les leçons de littérature anglaise et française que le prince donne dans son palais de la via Butera pour un groupe de jeunes amis (dont Gioacchino Lanza qui deviendra son fils adoptif et son exécuteur testamentaire ; c’est à lui que l’on doit l’édition définitive du Guépard, parue en Italie en 2002) ; ces remarquables leçons seront publiées en 1995 dans le volume des Oeuvres de Tomasi di Lampedusa, paru dans la collection I Meridiani, la Pléiade italienne. 
Dans un petit ouvrage sobrement intitulé Ricordo di Lampedusa [Souvenir de Lampedusa], paru pour la première fois en 1963 et réédité avec une postface inédite en 1996, Francesco Orlando raconte ces quelques années passées auprès de ce personnage fascinant, qui n’a encore rien publié mais qui est en train d’écrire ce qui deviendra l’un des plus grands romans de la littérature italienne,Le Guépard, dont Orlando aura l’occasion de dactylographier plusieurs chapitres. Je cite ici deux extraits de ce très beau témoignage, dans la traduction de Michel Balzamo, parue en 1996 aux éditions de L’Inventaire : 

« En cette première année de notre amitié, qui devait rester la meilleure, Lampedusa se montra généreux et aimable au-delà du possible. Il était sans nul doute heureux d’avoir rompu sa solitude intellectuelle, de parler autant de la littérature, de connaître de jeunes spécimens humains et de leur transmettre quelque chose. Malgré la différence d’âge, son attitude était dépourvue de toute coloration paternelle au sens affectueux du terme, mais ceci ne faisait-il pas partie, après tout, de la polémique antisentimentale et antiméridionale dont je parlerai bientôt ? Quoi qu’il en soit, sa patience était vraiment infinie quand il s’agissait de m’instruire et il ne recula que devant la corvée de m’enseigner à parler en anglais ; il ne s’arrêtait devant aucune tâche didactique si ennuyeuse qu’elle fût, héroïquement fidèle au précepte qu’il convient de savoir s’ennuyer, et la crainte rétrospective d’en avoir pu abuser me donne aujourd’hui encore des frissons. Je ne saurais compter les livres qu’il me prêta, sur ma prière ou de sa propre initiative, ni les cadeaux offerts avec une grâce impassible : une anthologie de la poésie anglaise que nous avons longtemps pratiquée, le Pocket Oxford Dictionary qui est le seul volume sur lequel subsiste une dédicace, le théâtre de Marlowe dans Everyman’s, Barchester Towers de Trollope, les Poésies et les Quatuors d’Eliot qu’il déposa à ma porte le matin de la Saint-François 1954. Et lorsqu’il achetait une Pléiade ou un autre classique d’édition récente, il y avait toujours un ou plusieurs vieux volumes correspondants qui devenaient superflus dans sa bibliothèque. En me les offrant, il s’excusait chaque fois, sans cela un don aussi confidentiel lui aurait paru offensant.

Il s’intéressait non pas tant à la forme définitive tardivement atteinte de mes vers de jeune homme qu’au travail, surtout, qui me les faisait polir à l’infini et qu’il lui plaisait d’influencer avec une courtoisie sournoise. J’avais pris l’habitude de lui téléphoner, le jour de nos rendez-vous, pour lui demander si je pouvais arriver un quart d’heure avant les autres, à six heures moins le quart. "Venez plutôt à cinq heures et demie", me répondait-il toujours : c’était le temps qu’il fallait pour lui soumettre les nouveaux vers ou de nouvelles transformations de vers. Il les lisait lui-même à haute voix (comme moi sa prose), marquant le ton avec une fulgurante compréhension des nœuds syntaxiques et expressifs. Il fut satisfait d’observer que je ne pouvais plus modifier une poésie sans supprimer une des trop nombreuses apparitions du mot "cœur", si blâmé : "Avez-vous vu ? Un autre cœur vient de tomber !" Cette polémique contre le sentimentalisme accompagnait celle contre Palerme et la Sicile, et celle contre le mélodrame italien du dix-neuvième siècle, et le sérieux des deux premières au moins était mal dissimulé par le choix d’une agressivité humoristique qui, pourtant, convenait parfaitement à un homme aussi spirituel. Je me demande aujourd’hui si le but qui se dissimulait derrière son intérêt pour moi n’était pas l’espoir de soustraire une jeune âme à la formation de cette "croûte" sicilienne qui, selon le Guépard, est déjà faite à vingt ans.




(...) Paresse et attente de la mort, ces deux motifs profonds du Guépard, omniprésents et souterrains, même en dehors du passage où ils émergent comme les caractéristiques siciliennes, étaient puisés à même la désolation du prince solitaire qui ne daignait guère trouver un dérivatif dans le commerce de ses semblables. Et il y avait quelque chose qui, à la longue, serrait le cœur à rester près de lui et faisait qu’on éprouvait un inavouable soulagement à retrouver des personnes plus ordinaires, quelque chose qui pesait plus lourd que ses moments d’impolitesse. À mon avis, le personnage le plus autobiographique du Guépard après don Fabrice est la Concetta funèbre du dernier chapitre et de la dernière page.




Dans les derniers mois surtout, sans que l’on pût se douter que la fin était si proche, il émanait littéralement de lui une odeur de mort, sensation qu’à vingt-deux ans on supporte toujours péniblement, qu’on soit plus ou moins heureux. Si je remonte en arrière, je retrouve d’abord un homme doté d’une tranquille désinvolture envers sa propre personne physique. Ayant appris que j’avais un certain talent pour imiter les amis et les connaissances, il me demanda avec une curiosité polie : "Avouez, Orlando, vous m’imitez aussi ?" Ce n’était pas la cas, et une fois je l’entendis donner au téléphone son propre signalement à une personne qui ne l’avait jamais vu : "Vous verrez assis à une table un vieux monsieur gras..." Au cours de ces quatre ans, la même demande sournoise se faisait de plus en plus fréquente : "Qu’en pensez-vous, Orlando, ne suis-je pas encore trop ramolli ?" Quand il lut dans un de mes vers : "pensant à la mort invraisemblable", il s’interrompit avec mélancolie : "Vous êtes à l’âge où la mort est encore invraisemblable." Un dimanche, il me raconta à titre de curiosité un songe qu’il faisait fréquemment : il courait à travers les couloirs d’un ministère en cherchant le bureau où il apprendrait la date et l’heure de sa propre exécution. Je me souviens aussi, détachée de son contexte, d’une de ses dernières phrases, brève, presque susurrée et tragique : "Je ne lutte plus." Ce fut peut-être au cours de cette même journée qu’il me lut le septième chapitre du Guépard, la mort de don Fabrice : c’était si évidemment autobiographique que j’en fus tout remué, même si je ne savais pas qu’il était déjà malade, mais je devais à tout prix dissimuler mon émotion de peur qu’elle ne fût mal prise ou mal interprétée. »

Francesco Orlando  Un souvenir de Lampedusa, suivi de À distances multiples  Éditions de L'inventaire, 1996  (Traduction : Michel Balzamo)









Images : en bas, Source

Dernière page du Guépard : traduction de Jean-Paul Manganaro (Éditions Points / Seuil)



Su un liso cartellone (Sur une affiche défraîchie)

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Proiezione al « Nuovo » di Roma città aperta 

Ma che colpo al cuore quando, su un liso
cartellone... Mi avvicino, guardo il colore
già d'un altro tempo, che ha il caldo viso
ovale dell'eroina, lo squallore
eroico del povero, opaco manifesto.
Subito entro : scosso da un interno clamore,
deciso a tremare nel ricordo,
a consumare la gloria del mio gesto.
Entro nell'arena, all'ultimo spettacolo,
senza vita, con grigie persone,
parenti, amici, sparsi sulle panche,
persi nell'ombra in cerchi distinti
e biancastri, nel fresco ricettacolo...
Subito, alle prime inquadrature,
mi travolge e rapisce... l'intermittence du cœur.
Mi trovo nelle scure vie della memoria,
nelle stanze misteriose
dove l'uomo fisicamente è altro,
e il passato lo bagna col suo pianto...
Eppure, dal lungo uso fatto esperto,
non perdo i fili : ecco... la Casilina,
su cui tristement si aprono
le porte della città di Rossellini...
ecco l'epico paesaggio neorealista,
coi fili del telegrafo, i selciati, i pini,
i muretti scrostati, la mistica
folla perduta nel daffare quotidiano,
le tetre forme della dominazione nazista...
Quasi emblema, ormai, l'urlo della Magnani,
sotto le ciocche disordinatamente assolute,
risuona nelle disperate panoramiche,
e nelle sue occhiate vive e mute
si addensa il senso della tragedia.
E lì che si dissolve e si mutila
il presente, e assorda il canto degli aedi. 

Pier Paolo Pasolini  La religione del mio tempo  ed. Garzanti 






Projection au cinéma « Nuovo » de Rome ville ouverte 

Mais quel coup au cœur, quand, sur une
affiche défraîchie... Je m'approche, je regarde la couleur,
déjà d'un autre temps, du chaud visage ovale de l'héroïne,
la misère héroïque de cette pauvre affiche opaque.
J'entre aussitôt : ébranlé par une clameur intérieure,
décidé à trembler dans le souvenir,
à consumer la gloire de mon geste.
J'entre dans l'arène, à la dernière séance,
sans vie, avec des personnes grises,
parents, amis, éparpillés sur les bancs,
perdus dans l'ombre en cercles distincts
et blêmes, dans le frais réceptacle...
Aussitôt, dès les premiers plans,
m'emporte et me ravit... l'intermittence
du cœur. Je me retrouve dans les rues sombres
de la mémoire, dans les chambres
mystérieuses où l'homme est physiquement autre,
et où le passé le baigne de ses pleurs...
Et pourtant, rendu expert par la longue habitude,
je ne perds pas les fils, voilà... la Casilina,
sur laquelle tristement s'ouvrent
les portes de la ville de Rossellini...
voilà le paysage épique du néoréalisme,
avec les fils du télégraphe, les pavés, les pins,
les murets décrépis, la foule mystique
perdue dans sa routine quotidienne,
les sinistres formes de la domination nazie...
Presque un emblème, désormais, le cri de la Magnani,
sous ses mèches absolues et désordonnées,
résonne dans les panoramiques désespérés,
et dans ses regards vifs et muets
se fige le sens de la tragédie.
C'est là que le présent se dissout et se mutile
et que s'assourdit le chant des aèdes.

(Traduction personnelle) 












Images : Roma, città aperta, [Rome, ville ouverte] de Roberto Rossellini



Ombres portées

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Francesco M. Cataluccio publie chez Sellerio un très joli guide du musée des Offices de Florence, qu’il a beaucoup fréquenté depuis son enfance (son père l’y conduisait le dimanche, en lui faisant découvrir à chaque fois une nouvelle salle). L’ouvrage s’intitule La memoria degli Uffizi [La mémoire des Offices] ; j’en extrais ce petit passage où il est question de la représentation des ombres dans la peinture : 

Enfant, je m’étonnais toujours du fait que dans les peintures du treizième et du quatorzième siècles, il n’y avait pas d’ombres. Les figures du Christ, de la Madone et des saints étaient comme suspendues sur les sols riches et colorés, souvent recouverts de tapis et d’étoffes. J’étais envahi par une profonde et aveugle inquiétude : un homme sans ombre n’a pas d’identité, c’est comme s’il n’avait plus aucune preuve de son existence matérielle. Si l’on possède une ombre (comme Dante lui aussi le remarqua dans l’Enfer, X, 53) (1), c’est que l’on a un corps et que l’on est vivant, autrement, on est un ange ou l’on n’appartient plus à ce monde. Cette idée continuait à me trotter dans la tête même quand j’allais au stade pour assister aux matchs de football joués en nocturne. Les lumières croisées des puissants projecteurs effaçaient les ombres des joueurs qui semblaient flotter sur le stade, comme s’ils évoluaient dans un élément immatériel, tels les anges des peintures médiévales. Je finissais par me distraire, et peut-être aussi à cause de l'approche du sommeil, les ombres envahissaient le champ visuel d’un petit garçon dénué des instruments sophistiqués qui lui auraient permis de résoudre les contradictions de la vision mentale.




Avec mon frère, nous nous amusions à partir à la découverte du premier tableau où l’on voyait apparaitre les ombres des personnages. Gombrich, dans son ouvrage passionnant sur les ombres (2), soutient que Masaccio fut le premier à les peindre, mais les deux tableaux de lui qui se trouvent aux Offices ne sont pas les plus indiqués pour confirmer sa théorie. En revanche, il y en a bien une esquisse dans la Madone des Pazzi d’Andrea del Castagno (une trace d’ombre derrière les pieds de saint Jérôme). À l’époque de Botticelli, l’utilisation des ombres était devenue tout à fait habituelle.

Francesco M. Cataluccio  La memoria degli Uffizi  Sellerio editore Palermo, 2013  (Traduction personnelle)

(1)"Alors surgit dans l'ouverture une ombre / à côté de celle-là jusqu'au menton : / elle s'était mise, je crois, à genoux." (Traduction : Jean-Charles Vegliante)

(2) Ernst H. Gombrich  Shadows : the Depiction of Cast Shadows in Western Art, 1995. Édition française : Ombres portées : leur représentation dans l'art occidental, Gallimard, 1996.






Images, de haut en bas :

(1)Cimabue  Maestà, env. 1280, Musée du Louvre, Paris

(2) Andrea del Castagno  Madonna di casa Pazzi, 1443, Musée des Offices, Florence

(3) Masaccio  Cacciata di Adamo ed Eva, 1426-1427, Chapelle Brancacci, Florence




"Ombra mai fu
di vegetabile
cara ed amabile,
soave più."

Candele (Cierges)

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 KEPIA

Του μέλλοντος οι μέρες στέκοντ'εμπροστά μας
σα μια σειρά κεράκια αναμένα –
χρυσά, ζεστά, και ζωηρά κεράκια.

Οι περασμέμες μέρες πίσω μένουν,
μια θλιβερή γραμμή κεριών σβυσμένων·
τα πιο κοντά βγάζουν καπνόν ακόμη,
κατάμαυρα κεριά, κυρτά, λυωμένα.

Δεν θέλω να τα βλέπω·με λυπεί η μορφή των,
και με λυπεί το πρώτο φως των να θυμούμαι.
Εμπρός κυττάζω τ'αναμένα μου κεριά.

Δεν θέλω να γυρίζω, να μη διώ και φρίξω
τι γρήγορα που η σκοτεινή γραμμή μακραίνει,
τι γρήγορα που τα σβυστά κεριά πληθαίνουν.

Κωνσταντίνος Καβάφης






 Candele

Stanno i giorni futuri innanzi a noi
come une fila di candele accese –
dorate, calde e vivide.

Restano indietro i giorni del passato,
penosa riga di candele spente :
le più vicine danno fumo ancora,
fredde, disfatte, e storte.

Non le voglio vedere : m’accora il loro aspetto,
la memoria m’accora del loro antico lume.
E guardo avanti le candele accese.

Non mi voglio voltare, ch’io non scorga, in un brivido,
come s’allunga presto la tenebrosa riga,
come crescono presto le mie candele spente.

Costantino Kavafis

Traduzione : Filippo Maria Pontani








Cierges

Les jours futurs se dressent devant nous
comme une file de cierges allumés –
dorés, chauds et pleins de vie.

Les jours passés demeurent derrière nous,
triste rangée de cierges éteints :
les plus proches fument encore,
froids, fondus et penchés.

Je ne veux pas les voir : leur aspect m'attriste,
comme m'attriste le souvenir de leur lumière passée.
Et je regarde devant moi les cierges allumés.

Je ne veux pas me retourner, de peur de découvrir en tremblant
comme la sombre rangée s'allonge vite,
comme grandit vite le nombre de mes cierges éteints.

Constantin Cavafis

(Traduction personnelle)








Images : (1) et (2)Francesco Pappalardo  (Site Flickr)

(3) Stefania Galazzo  (Site Flickr)


La place du fantôme

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Dans son recueil de souvenirs Mes étoiles, Claudia Cardinale raconte sa dernière (brève) participation à un film de celui qui fut son maître, Luchino Visconti ; c'était en 1974, dans Gruppo di famiglia in un interno (en France, le film est sorti sous le titre grandiloquent de Violence et passion). En Italie, nous sommes alors au cœur des funestes "années de plomb" (dont on perçoit plusieurs échos dans le film) ; Visconti est déjà très diminué par l'attaque cérébrale qui l'a frappé deux ans plus tôt, et Claudia Cardinale se trouve elle-même à un moment très difficile de sa carrière, puisqu'elle vient de quitter son mari et producteur Franco Cristaldi pour vivre avec le cinéaste Pasquale Squitieri. Cristaldi prendra très mal ce qu'il considère comme une trahison et fera tout pour que Cardinale ne puisse plus tourner en Italie, boycott qui durera pendant plusieurs années : tout cela explique "l'odeur de cendres" qu'elle évoque dans son récit, qui est un adieu à l'âge d'or du cinéma italien, mais aussi à la jeunesse de l'actrice et à l'apogée de sa carrière..




Mon ami Luchino m’avait demandé de lui donner une journée pour apparaître dans son Gruppo di famiglia in un interno, qu’il voulait qu’on traduise tout simplement en français par Groupe de famille dans un intérieur, et qu’à sa grande fureur, les producteurs ont rebaptisé Violence et passion.

Lorsque le tournage a commencé, en avril 1974, Visconti n’avait pas retrouvé, malgré des efforts surhumains, l’usage normal de ses jambes. Et pourtant, il était là, debout, à prétendre nous diriger comme d’habitude, ou presque, comme si tout allait pour le mieux désormais. Suso [Cecchi d'Amico], sa chère scénariste devant laquelle il avait eu son attaque cérébrale, ne le quittait pas des yeux. Elle semblait souffrir autant que lui. 
Il ne pouvait plus, comme un grand général, diriger des centaines de figurants, autant de techniciens, courir d’un atelier de décor à une salle de maquillage. Mais il voulait faire bonne figure. 
Il avait choisi son ami Burt Lancaster pour incarner le vieillard, collectionneur égoïste, qui aurait pu lui ressembler, la générosité en moins. 
Moi, il m’avait fait la faveur de me réserver la place du fantôme. 
Il me voulait en mariée, le visage enseveli sous un voile blanc en tout point semblable à celui que portait Carla Erba, héritière d’une des plus riches familles de Milan, au moment où elle épousait le duc Giuseppe Visconti di Modrone, son père. 
À mesure que Luchino sentait la mort approcher, le souvenir de sa mère devenait plus familier, plus obsédant et plus précieux. Il voulait la revoir dans tout l’éclat de sa jeunesse et de son amour. C’est un immense honneur qu’il me faisait, en me confiant ce rôle. 




Luchino ne pouvait savoir à quel point j’étais émue de porter ce costume qui évoquait une histoire chère à son cœur. Elle l’était aussi au mien. Mais pas pour les mêmes raisons. 
Le temps qui lui était désormais compté, le calvaire de ses souffrances, de ses humiliations, la passion du cinéma d’autant plus brûlante qu’elle était maintenant celle qu’on ressent pour une maîtresse inaccessible, le tenaient à l’écart des commérages. Et pourtant, il savait tout, à sa manière, et sans que j’aie jamais rien eu besoin de lui confier. 
Quand j’avais vingt ans, et un enfant secret d’à peine un an, quelque part à la campagne, il m’avait mis dans les bras le bébé de Rocco
J’en avais trente-cinq, et j’aimais absolument : il me voyait en mariée...
Lorsque je suis rentré chez moi, après cette unique journée de tournage, émue et attristée de l’avoir revu si affaibli, un paquet m’attendait. Il m’avait fait envoyer une pochette du soir Bulgari, comme une invitation à un prochain bal, sublime, mais qu’il ne pouvait donner qu’en rêve.
L’actualité ne parlait que de bombes aveugles, d’enlèvements, d’assassinats. Le terrorisme rouge et noir poursuivait une conversation qui ne laissait derrière elle que d’horribles chiffres : huit morts, cent deux blessés, le 28 mai 1974, par l’explosion d’une bombe à Brescia ; douze morts, quarante-huit blessés, le 4 août, lors d’un attentat contre un train près de Bologne. Le calendrier italien était sanglant. Et ce petit objet si délicat, si inutile aussi, parlait raffinement, beauté. La seule chose véritablement importante, avec l’amour, disait Visconti. 
Cette pochette du soir évoquait une autre vie, et pas seulement celle du Guépard, et de ce bal qui avait été celui de ma jeunesse. Une vie que j’étais en train de perdre. Une odeur de cendres. 

Claudia Cardinale  Mes étoiles  Éditions Michel Lafon, 2005






Portare un sogno (Apporter un rêve)

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Dans ce deuxième extrait du recueil de Bernardo Bertolucci, In cerca del mistero [En quête du mystère], c'est un poète de quinze ou seize ans qui se souvient de Leopardi : La Ginestra, bien sûr, mais aussi L'Infinito, avec cette "siepe" (haie) qui «de tout bord ou presque / dérobe aux yeux le lointain horizon». Ici, au contraire, la haie ne cache pas, mais protège, dans son lieu le plus doux, le plus accueillant. C'est déjà "le rêve d'une chose", pour reprendre l'expression pasolinienne, les collines de l’Émilie remplaçant ici les paysages du Frioul ; dans ce tableau bucolique, les perceptions se mêlent mystérieusement : la poudre d'or de la lumière du matin, le bourdonnement des abeilles et le parfum des genêts. On songe aussi en lisant le poème à Virgile et aux abeilles du Livre IV des Géorgiques [219 - 227] : «D'après ces signes et suivant ces exemples, on a dit que les abeilles avaient en elles une parcelle de la divine intelligence et des émanations de l'empyrée ; car, selon certains, Dieu se répandrait par toutes les terres, et les espaces de la mer, et les profondeurs du ciel ; c'est de lui que les troupeaux de petit et de gros bétail, les hommes, toute la race des bêtes sauvages emprunteraient à leur naissance les subtils éléments de la vie ; c'est à lui que tous les êtres retourneraient et seraient rendus après leur dissolution ; il n'y aurait point de place pour la mort, mais, toujours vivants, ils s'envoleraient au nombre des constellations et gagneraient les hauteurs du ciel.»


Fu qualcuno che me disse delle ginestre.

Se qualcuno passa per le colline
mi porti tutte le ginestre che il mattino
ha ricoperto d'oro, le più giovani
che abbiano ancora le api
e il loro ronzio tra i petali ; io porterò
con me questo sogno, in ogni paese
in ogni casa : « Ecco il mio sogno ! ».
Se dovessi andarmene per una strada
e le api non conoscessero il punto dolce
della siepe, riportate le ginestre alle colline
e le api.

Bernardo Bertolucci  In cerco del mistero  Gremese Editore, 1988  (Prima edizione : Longanesi, 1962)






Quelqu'un me parla des genêts.

Si quelqu'un passe par les collines
qu'il m'apporte tous les genêts que le matin
a recouverts d'or, les plus jeunes
qui abritent encore les abeilles
et leur bourdonnement dans les pétales ; j'emporterai
avec moi ce rêve, dans chaque village
dans chaque maison : « Voici mon rêve ! ».
Si je devais m'en aller sur une route
et que les abeilles ne connaissent pas l'endroit le plus doux
de la haie, ramenez les genêts aux collines
et les abeilles.

(Traduction personnelle)






Images : en haut, Emilio Poli  (Site Flickr)

en bas, Chiara  (Site Flickr)



Il Paese del melodramma (Le Pays du mélodrame)

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En ces années de célébrations verdiennes, il serait dommage de ne pas se rappeler de Bruno Barilli, l'auteur de l'un des plus beaux livres consacrés à la musique de Verdi, Il Paese del melodramma (Le Pays du mélodrame), publié pour la première fois en 1930 et introuvable en français, hélas ! Barilli (pour l'anecdote, il est l'oncle de Cecrope Barilli, qui joue Puck dans le film de Bertolucci Prima della Rivoluzione, et le grand-oncle de Francesco Barilli, qui interprète dans le même film le rôle de Fabrizio) est critique musical et compositeur (deux opéras, Medusa et Emiral, fort peu joués, même si le second lui a valu un prix remis par un jury présidé par Puccini...), mais c'est aussi (et surtout) un magnifique écrivain. Sa façon de parler des œuvres peut surprendre, dans la mesure où il n'aborde pratiquement pas l'aspect technique et purement musical, mais plutôt le cadre culturel et géographique qui a donné naissance à ces œuvres. On n'a jamais mieux montré que dans cet ouvrage le lien indissoluble qui unit le mélodrame verdien aux paysages et aux gens de la région de Parme : c'est de là que viennent son souffle, son âme et ses couleurs (Barilli parle par exemple de la musique vermeille du Trouvère, pour lui le vrai chef d’œuvre de Verdi, davantage que les deux derniers opéras, Otello et Falstaff, plus homogènes et "contrôlés", habituellement considérés comme les sommets de l’œuvre). Pour évoquer cette musique à la fois rigoureuse et débordante, Barilli a recours à une profusion de comparaisons et de métaphores, toutes merveilleusement évocatrices, comme celle du torrent qui traverse la ville de Parme, et que l'on retrouvera dans le second extrait que je traduis ici. Dans le premier passage, on verra que Verdi a aussi puisé son inspiration dans de petits détails quotidiens, comme le chant d'un colporteur saisi au vol sous un portique et réutilisé dans un chœur du troisième acte d'Aïda :

Un giorno un vecchio mentore, persona conosciuta e famigliare che sosteneva in città la parte di Matusalemme, ci toccò una spalla. Eravamo sotto i portici del palazzo del Governatore. Trentadue gradi all’ombra. In quell’estasi canicolare udivi salire fino al cielo il ritornello querulo di un venditore di terraglie. « Ragazzo mio, » fece il nostro autorevole amico indicandoci una delle arcate che si aprivano in piena luce sulla piazza Grande « proprio di là ho visto venir su Verdi appoggiato al braccio della Stolz. Nel fermo stupore solare questi due pellegrini sorsero dinanzi a me improvvisamente. Lo stesso grido noioso e solitario che tu odi ripetersi in questo momento echeggiava anche allora qui sotto le volte. Verdi ne parve sorpreso. Si sciolse dalla sua compagna, cavò fuori un libriccino e segnò una sull’altra quelle quattro note approssimative. La cantilena del merciaio ambulante era andata a incastrarsi dritta nella sua fantasia. Ferro tira ferro, ragazzo mio. Il cervello umano quando lavora diventa una calamita. Qualche volta un accessorio rimette in movimento la macchina, poi l’opera si stacca come un frutto maturo e rotola sull’erba. Vedi come procede di sorpresa e per indicazioni il lavoro creativo ? Non si potrebbe forse pensare  che in un pomeriggio arido e sonnolento come questo da una costola di Adamo venne fuori Eva e si addormentò vicino a lui ? Basta, se lo vuoi sapere il grido ozioso di poco fa ha trovato la sua nicchia nella Aida. Vent’anni or sono, nell’udire quest’opera, riconobbi, durante l’atto del Nilo, nell’invocazione rituale dei sacerdoti nascosti nel tempio, la voce del nostro venditore di terraglie che da cinquant’anni trascina il suo piato e la sua merce per le strade di Parma ».
— Questa fu la nostra prima lezione di composizione.

(...)

La nostra città è rotta in due, e si dà l’aria di essere traversata da un famoso corso d’acqua. Il torrente scende ogni tanto dalla montagna e le fa una visita improvvisa e minacciosa. I parmigiani gli hanno preparato per ogni evenienza un gran letto che non basta ai suoi trasporti. A primavera vien giù in piena, impennato e tuonante come se fosse preceduto da una fila di tamburi, s’ingrossa, monta, supera i livelli e sale con la rapidità di un aerostato fomentato da un falò.

La folla nera protesta sui parapetti grida e gongola, mentre sotto i suoi piedi i ponti tremano, e guarda passare nei gorghi e roteare intorno ai pilastri tronchi d’albero, stie galleggianti, asini e cani affogati e gonfii come sacchi di zampogne. Già l’acqua sta per lambire il segno dell’ultima inondazione e chiudere gli occhi dei ponti : schiuma e tempesta contro gli ostacoli velocissima. Le ali dei muraglioni e le case dai camini che fumano sembrano filare in senso inverso come una flotta pigiata e fuggente.

Allo stesso modo impetuoso si abbatte sul populo radunato nel teatro di Parma la melodia corale di Verdi, poi decresce, si ritira e lascia allo scoperto il greto ampio ardente, impervio e abbagliante.

Bruno Barilli  Il Paese del melodramma  Réédition Adelphi, 2000




Un jour, un vieux mentor, une personne bien connue et familière qui tenait dans la ville le rôle de Mathusalem, me toucha l’épaule. Nous étions sous les portiques du palais du Gouverneur et il faisait trente-deux degrés à l’ombre. Dans cette extase caniculaire, on entendait monter jusqu’au ciel le chant plaintif d’un marchand ambulant. « Mon garçon, » dit cet ami important en me désignant l’une des arcades qui s’ouvraient en pleine lumière sur la Grand Place, « à cet endroit précis, j’ai vu s’approcher Verdi appuyé au bras de la Stolz. Dans l’immobile stupeur solaire, ces deux promeneurs surgirent soudain devant moi. Le même cri monotone et solitaire que tu entends se répéter en cet instant retentissait également ce jour-là sous ces voûtes. Verdi en parut surpris. Il lâcha le bras de sa compagne, sortit un petit carnet et griffonna tour à tour ces quatre notes approximatives. La rengaine du colporteur avait aussitôt trouvé sa place dans son imagination. Le fer attire le fer, mon garçon. Quand il se met en action, le cerveau humain devient un aimant. Parfois, un simple accessoire remet en marche la machine, puis l’œuvre se détache comme un fruit mûr et roule sur l’herbe. Comprends-tu que le travail de création avance de façon surprenante et aléatoire ? Ne pourrait-on pas imaginer qu’en une après-midi somnolente et aride comme celle-ci Ève a surgi d’une côte d’Adam et qu’elle s’est endormie auprès de lui ? Hé bien, si tu veux le savoir, le cri fastidieux de tout à l’heure s’est retrouvé dans Aida. Il y a vingt ans, en entendant cet opéra, j’ai reconnu, pendant l’acte du Nil, au milieu de l'invocation rituelle des prêtres cachés dans le temple, la voix de notre colporteur qui trimballe depuis cinquante ans sa marchandise dans les rues de Parme ».
— Ce fut mon premier cours de composition.

(...)


Notre ville est cassée en deux, et s’enorgueillit d’être traverséepar un fameux cours d’eau. Le torrent descend parfois de la montagne pour lui rendre une visite inopinée et menaçante. Les habitants de Parme lui ont préparé à toute éventualité un grand lit qui ne suffit pas à contenir ses élans. Au printemps, il déferle en crue, emporté et tonnant comme s’il était précédé d’une rangée de tambours, il grossit, dépasse les niveaux de garde et monte avec la rapidité d’un aérostat propulsé par un feu.

La foule compacte penchée sur les parapets crie et jubile, tandis quesous ses pieds les ponts tremblent, et elle regarde passer dans les remous et tournoyer autour des piliers des troncs d’arbres, des clapiers flottants, des ânes et des chiens noyés et gonflés comme des sacs de cornemuses. Déjà, l'eau s'apprête à lécher les traces de la dernière inondation et à fermer les yeux des ponts : furieuse, elle écume et tempêtecontre les obstacles. Les bords des murailles et les maisons aux cheminées fumantes semblent filer en sens inverse comme une flotte pressée et fuyante.

De façon aussi impétueuse, la mélodie chorale de Verdi s’abat sur le peuple réuni dans le théâtre de Parme, puis elle décroît, se retire et laisse à découvert la grève vaste et brûlante, inaccessible et éblouissante.

(Traduction personnelle)










Images : Teatro Regio, Parma

en haut, Rami Jakupi (Site Flickr)

au centre et en bas (2) Marco Delaurenti  (Site Flickr)

en bas (1) Manuel Palomino Ajorna  (Site Flickr)



Lumière

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En 1962, Claudia Cardinale participe simultanément à deux tournages : à Palerme, elle interprète le rôle d'Angelica dans Le Guépard de Visconti et à Cinecittà, elle est Claudia dans le Huit et demi de Fellini. Autrement dit, elle se retrouve dans deux des plus grands films de l'histoire du cinéma, et joue en alternance avec une grande virtuosité deux grands rôles on ne peut plus différents, sous la direction de deux cinéastes dont les univers cinématographiques et les méthodes de travail sont diamétralement opposés, comme elle le montre bien dans le passage que l'on va lire :

Personne ne me contredira si j’affirme que, pour passer de l’un à l’autre de ces réalisateurs de génie, il fallait au moins de la souplesse et de la disponibilité... 
Avec Visconti, on travaillait dans un silence quasi religieux, le plateau était un temple où l’on rendait grâce à l’art. Fellini avait au contraire besoin de tumulte. Il avait peur du calme. Il lui fallait une ambiance de trattoria à l’heure du coup de feu. 
Visconti n’admettait que le vrai, l’authentique. Fellini était heureux au milieu du carton-pâte. Comme un enfant, il voulait ce genre de bateaux qu’on regarde chalouper sur des mers en plastique. Et surtout, que ce soit du faux ! Il adorait les toiles peintes des vieux ateliers de photographes où l’emplacement des têtes est découpé pour qu’on puisse y passer la sienne et se retrouver dans un habit, un décor, complètement loufoques.
Impossible de savoir ce qu’il avait décidé à l’avance, lui-même l’ignorait. Il jonglait, misant tout sur son imagination, sa poésie, et pourtant, il réalisait des prouesses techniques, des travellings qui lui permettaient de passer d’un acteur à l’autre selon des trajectoires croisées, impossibles à réussir sans les avoir préalablement travaillées avec une précision et une rigueur de géomètre. 
Le Guépardétait l’histoire de Visconti, ou plutôt l’histoire de celui qu’il aurait été, un siècle plus tôt. Huit et demi est incontestablement l’histoire de Fellini. Avec Mastroianni dans le rôle de l’alter ego. Il l’avait vieilli pour qu’il ait exactement son âge, avait terni ses cheveux, lui avait mis des bretelles. Mastroianni était son « héritier », l’acteur qu’il aurait aimé être, le séducteur qui faisait rêver l’éternel époux de la Masina. Et moi j’étais la source d’inspiration, qui vole pour lui tendre un verre d’eau dans lequel il puise le renouveau de ses forces créatrices. Celle qu’il imagine tour à tour en déesse et en démon.






Fellini passait me prendre tous les matins, à la campagne, pour me conduire au studio. Pendant tout le trajet en voiture, il parlait, parlait, n’arrêtait pas de parler, avec extravagance, profusion, il commentait ses rêves, sa vie, ses obsessions, son fétichisme, autant de purs moments de poésie dont le flot me berçait. Tout y passait. Depuis le cinéma de son enfance. Ainsi, à tous ceux qui voulaient savoir la vérité sur Huit et demi, il aurait dû répondre comme le patron de la petite salle de Rimini où il avait vu ses premiers films : « Je ne dirai rien ! » 
Il suffisait qu’il évoque ce personnage pour que lui reviennent ses souvenirs de collégien avide d’aventure, et qui demandait, sur des charbons ardents : « Mais à la fin, est-ce qu’il meurt ? » Et l’homme restait énigmatique : « Il meurt... Mon cul ! » 
C’est le genre d’histoire que Federico adorait. Avec les scènes des confessions collectives au pensionnat, chez les salésiens, quand il fallait crier à tue-tête, à genoux sur le marbre glacé, la liste des péchés qu’un curéécoutait d’un air distrait. Ou son émotion devant Anita Ekberg, un mètre quatre-vingt-un, et son incrédulité comme s’il avait eu devant lui un éléphant ou un baobab. Il disait aussi que rien n’était plus émouvant pour lui que l’innocence. 
Il dormait peu, c’était un insomniaque dont les nuits blanches étaient aussi une source d’émerveillement. Privé de sommeil, il rêvait, éveillé. Il pouvait parler des heures de la lumière. À vrai dire, je crois que c’était elle la véritable héroïne de ses films. C’était elle qu’il traquait, épiait. « La lumière est idéologie, sentiment, couleur, profondeur, atmosphère. Elle efface, elle réduit, elle enrichit, elle nuance, elle souligne... », écrivit-il un jour. Sur ce sujet, il était intarissable. 
Bref, dans la voiture, sagement assise à son côté, je jouais déjà pour lui le rôle de l’inspiratrice... 
Est-ce parce que j’arrivais de Palerme où régnaient l’ordre et la discipline ? J’entrais sur son plateau avec le sentiment de me jeter en plein chaos. D’ailleurs, le terrain vague fait partie du paysage fellinien. On croisait des femmes en costume des années vingt, des musiciens de jazz, des vamps en robes longues, des chevaux, des enfants occupés à sauter à cloche-pied, de faux prélats, de vrais reporters, des clochards, des patriciens, quelque cent cinquante personnages disparates qui terminent le film par une farandole, au départ tournée comme bande annonce et qui lui plut au point que Fellini décida qu’elle servirait de final à son délire. 
L’anarchie lui était aussi indispensable que l’ordre l’était à Luchino. À ceux qui tournaient avec Visconti, l’idée même de téléphoner entre deux scènes aurait semblé une incongruité, presque un sacrilège. Au contraire, pour satisfaire son ami Marcello, Fellini avait fait installer un combiné sur le plateau. Et à chaque interruption, Marcello composait le numéro d’un copain, d’une amie... Federico adorait cette confusion. Autant Luchino détestait l’amateurisme, autant Federico avait besoin de voir débarquer des gens de la rue, des silhouettes, des drôles de gueule, à qui il demandait, « Tu comptes à haute voix, un, deux, trois, quatre, et tu te mets à rire. Cinq, six, sept, tu te lèves, huit, neuf, dix, tu vas vers la fenêtre... ». Et dans cette tempête, il nageait, petit poisson heureux de sentir la houle autour de lui. 
Et sa coiffure ! Mon Dieu, ces épis, qu’il oubliait d’aplatir au saut du lit ! Ses pantalons informes, ses chemises froissées... En Sicile, Visconti ne quittait jamais son costume de lin blanc, impeccablement coupé, il portait les panamas des meilleurs faiseurs. Et tout cela, avec un naturel, une nonchalance... Il n’était pas pour rien l’ami de Coco Chanel. Avec Fellini... c’était une tout autre histoire. Des chapeaux de paille de riz, des polos transparents, des bretelles... Voilà quelqu’un qui n’aurait pas fait un drame pour un bouton en moins, il se moquait de tout cela. Il se faisait des taches, et il reprenait le travail. Qu’est-ce que ça changeait pour lui ? Rien.




J’aimais le seigneur qu’était Visconti, ses fêtes somptueuses avec leurs débauches d’argenterie, de cristaux, de porcelaines, et ces collections d’art ou d’antiquités qu’il n’aimait réunir que pour mieux les disperser ensuite entre ses amis. Et j’aimais Fellini pour sa chaleur de bon vivant, cette liberté qu’il nous donnait, à nous qui n’avions pas d’horaires, qui, bon gré, mal gré, devions, quand nous tournions avec lui, renoncer à toute autre vie car nous étions si soudés, si heureux de partager le même repas à de grandes tables bruyantes, de dévorer des pâtes servies dans des assiettes en carton. Lui ne se nourrissait que des pique-niques que sa femme, la grande actrice Giuletta Masina, lui faisait porter par leur chauffeur.
Visconti m’a permis d’exprimer la force, l’énergie que je cachais au fond de moi. Fellini m’a rendu ma voix. 
L’idée qu’une voix pouvait faire partie de la personnalité d’une actrice, achever son personnage, semblait alors superflue. En Italie, nous étions toutes doublées. Mais ma voix rauque, un peu cassée, continuait à me gêner au point que j’avais consulté un spécialiste pour savoir s’il était possible de la réparer. Le médecin m’avait expliqué qu’il n’y avait rien à faire. Selon lui, je n’avais pas assez exercé mes cordes vocales durant mon enfance, et elles ne s’étaient pas développées correctement. Je devais accepter ce signe particulier qui me perturbait, mon talon d’Achille de comédienne. Jusqu’à ma rencontre avec Fellini, j’étais comme la Petite Sirène, condamnée au silence pour l’amour du cinéma. Mais pour Fellini, toute différence était source de poésie. Ma voix n’échappait pas à la règle. Il m’a donc laissée parler... et cette voix a convaincu Comencini de ne pas me faire doubler pour La Ragazza di Bube, l’année suivante. Ce rôle allait me rapporter ma première vraie récompense d’actrice, le Nastro d’Argento. Visconti m’avait donné des ailes, Fellini m’a réconciliée avec moi-même. 

Claudia Cardinale  Mes étoiles  Éditions Michel Lafon, 2005







 "Perché non sa voler bene."

Maestro

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Dans son ouvrage Persone speciali, Masolino d'Amico, le fils du musicologue Fedele d'Amico et de la scénariste Suso Cecchi d'Amico, fait le portrait de plusieurs grandes personnalités italiennes du monde de l'art, du spectacle ou de la politique qu'il connaît depuis son enfance puisqu'elles fréquentaient toutes, pour des raisons amicales ou professionnelles, la maison de ses parents. Je cite ici, dans une traduction personnelle, quelques extraits du texte qu'il consacre à Luchino Visconti, un grand ami de sa mère qui fut la scénariste de presque tous les films du Maestro :

La caractéristique la plus impressionnante de Luchino Visconti dans la vie comme dans le travail, c’était l’autorité. Par autorité — on dirait aujourd’hui "leadership"— j’entends la capacité de se faire obéir, c'est-à-dire d’obtenir que des personnes exécutent des ordres sans perdre de temps pour les convaincre. C’est un don naturel et mystérieux qui se manifeste de plusieurs façons. Les chefs d’orchestre ne peuvent pas exceller s’ils en sont dépourvus, mais il n’y en a pas deux qui l’expriment de la même manière — Bernstein, qui sautillait plein d’enthousiasme comme un derviche et terminait en sueur, avait sur son orchestre le même ascendant que le glacial Pierre Monteux, qui lorsqu’on le voyait de dos semblait ne même pas bouger un doigt. 




Visconti, qui élevait rarement la voix, était venu au monde avec son autorité, mais il est difficile de prétendre qu’il l’avait héritée de ses lointains ancêtres, les moyenâgeux seigneurs de Milan, dont les titres, après l’extinction de la branche principale, étaient passés, par une faveur de Napoléon Bonaparte, à des héritiers collatéraux assez éloignés. Le fait est qu’il émanait l’autorité, sans que l’on sache d’où elle lui venait. 

Initialement, il l’exerça sur les chevaux, recourant même à l’hypnose pour transformer un canasson presque boiteux en vainqueur du Grand Prix de la Ville de Milan. Il passa ensuite aux acteurs, qu’il comparaît d’ailleurs volontiers à des quadrupèdes, en affirmant qu’il fallait savoir les prendre, et déduire de leur caractère s’ils avaient besoin du fouet, des caresses ou du petit sucre. Le but ultime de cette manipulation du prochain n’était pas, fort heureusement, la politique, mais plutôt le théâtre, le cinéma, l’opéra, autrement dit le ludus, le jeu ; du reste, le jeu nécessite le plus grand engagement et le sérieux le plus total. Sur le jeu théâtral, Visconti ne plaisantait jamais, il exigeait au contraire la perfection en tout et de la part de tous. 

Si le génie réside dans le soin infini apporté au moindre détail, Visconti le possédait. Dans chaque circonstance, il savait exactement ce qu’il voulait, jusqu’à la tonalité d’un sifflement de train dans le lointain, et il était impossible de le contenter avec un ersatz approximatif. On l’a présenté comme un grand amateur, mais en réalité il maîtrisait parfaitement chacun des domaines de son activité. Pour les costumes et les décors, il choisissait toujours de façon infaillible les tissus les plus chers. Ses producteurs essayaient parfois de modifier les prix sur les étiquettes des échantillons, mais il ne se laissait jamais prendre à ce subterfuge. Ses collaborateurs étaient également d’un très haut niveau, de la couturière jusqu’au chef opérateur ; avec lui, chacun parvenait même à se surpasser. Son autorité accroissait le potentiel des personnes. Si Visconti te demandait de faire quelque chose d’inhabituel ou de déroutant, tu lui obéissais sans discuter, puisqu’il en savait évidemment plus que toi. (...)




Très exigeant avec tout le monde, Visconti le fut aussi avec lui-même quand il fut victime d’une attaque cérébrale qui le laissa avec un bras et une jambe à demi paralysés. Il refusa en quelque sorte d’admettre sa situation : il ne l’avait pas ordonné lui-même, donc cela n’était pas vraiment arrivé. Il se soigna secrètement avec ténacité, il obéit aux médecins, il se soumit à des séances exténuantes de rééducation, mais devant les autres il continua à travailler comme si de rien n’était. Comme son métier nécessitait la mise en marche et la maîtrise d’une très importante organisation, il eut du mal à convaincre des producteurs de la lui confier, mais, comme à son habitude, il finit toujours par y parvenir. 

Pour démontrer qu’il n’avait rien perdu de sa maîtrise, il accepta une offre du théâtre Stabile de Rome, qui cherchait à sauver une saison désastreuse en mettant à l’affiche un nom prestigieux : la mise en scène de Vecchi tempi [C’était hier], une pièce de Pinter qui ne lui convenait pas vraiment. Il accepta également que le producteur de son film Gruppo di famiglia in un interno [Violence et passion] soit un homme de droite en quête de respectabilité culturelle comme Edilio Rusconi (à ceux qui le lui reprochaient, il répondit justement que les capitaux ne sont pas à gauche) ; et en somme, il se remit au travail, à sa manière. Il refusa de se comporter en invalide, ne serait-ce qu’une seule seconde. À grands frais, on fit venir pour lui de Suisse un tout dernier modèle de chaise roulante automatique, mais il ne s’y assit qu’une seule fois : il devait impérativement se tenir sur ses jambes. (...) 




J’ai pleuré en apprenant sa mort — je l’aimais beaucoup, et puis j’étais encore jeune et j’ignorai qu’il y a des personnes qui ne meurent jamais. Sur ce point, Luchino en savait évidemment plus que moi. Une fois, un employé maladroit de l’Opéra de Rome, qui ne l’avait pas reconnu, tenta de l’empêcher d’accéder à l’entrée des artistes. Le Comte le traita très durement, et l’autre s’entêta. Quand le malentendu fut levé, l’employé, qui voulait avoir le dernier mot, lui dit : « Restez calme, restez calme ! Et souvenez-vous que nous allons tous mourir. » « Vous, peut-être, lui répondit Visconti, mais moi certainement pas ! »

Masolino d'Amico  Persone speciali  Sellerio editore Palermo, 2012  (Traduction personnelle)






Images : (1), Visconti en 1935 (il a vingt-neuf ans).

(2) Visconti à la Scala de Milan, en compagnie de Maria Callas et Leonard Bernstein (pendant les répétitions de La Vestale, de Spontini, en 1955).

(3) Visconti et Alain Delon, pendant le tournafe de Rocco et ses frères, en 1960.

(4) Visconti entouré de Giancarlo Giannini et Laura Antonelli, sur le tournage de L'Innocent, en 1975.

(5) Visconti et sa soeur Uberta, sous le portrait de leur mère, Carla Erba.



Interview de Luchino Visconti par François Chalais, en 1963

La potenza del riso (La puissance du rire)

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Le réalisateur Mario Monicelli, l'un des grands maîtres de la fameuse "comédie à l'italienne", aurait eu aujourd'hui cent ans. À cette occasion, je cite ici quelques extraits d'une conversation qu'il a eue en 2008 avec le critique Goffredo Fofi, autour du thème de la mort et du comique. On se souvient que Monicelli est mort le 29 novembre 2010, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans, en se jetant de la fenêtre de sa chambre au cinquième étage de l'hôpital San Giovanni de Rome, où il se trouvait pour un cancer en phase terminale :

« La morte è fonte sublime di comicità. Innesca dinamiche familiari e personali che possono prendere qualsiasi direzione. Sfuggendo alle logiche della normalità. Rovesciando rapporti ed equilibri. Suscitando clamorose rivelazioni. Aprendo il capo a soluzioni di umor nero dalle sfumature grottesche o persino blasfeme. La presenza stessa della morte, con l’obbligo sociale del cordoglio, genera le soluzioni più impensate. E il riso assume talvolta forme isteriche, liberatorie, difensive. Accompagnato a rivalse, improvvise confessioni, liti furibonde. La morte è comica. Non ha quasi nulla di eroico. E quando lo sembra, spesso rivela un equivoco come in fondo era la fucilazione di Sordi e Gassman nella Grande guerra.

Anzi, il più delle volte la morte ti coglie sempre nel momento meno opportuno. Dalla veglia funebre al funerale, con tutto quello che può accadere durante l’interramento, la morte fornisce materia comica straordinaria. (...)

C’è una frase che ho trovato e copiato dai Pensieri di Leopardi, per l’esattezza è il numero 78, una frase che condivido e che ho cercato, qualche volta forse riuscendovi, di mettere in pratica nei miei film che considero riusciti: "Grande tra gli uomini e di grande terrore è la potenza del riso : contro il quale nessuno nella sua coscienza trova sé munito da ogni parte. Chi ha coraggio di ridere, è padrone del mondo, poco altrimenti di chi è preparato a morire". »




« La mort est une merveilleuse source de comique. Elle entraîne des réactions familiales ou personnelles qui peuvent prendre toutes les directions possibles, échappant à toutes les logiques de la normalité et bouleversant les rapports et les équilibres. Elle ouvre la voie à toutes les potentialités d'humour noir, aux nuances grotesques ou même blasphématoires. La présence même de la mort, avec l'obligation sociale du deuil, génère les situations les plus inattendues, et le rire prend des formes parfois hystériques, libératrices, défensives. Il peut s'accompagner de revanches, de confessions inattendues, de furieuses disputes. La mort est comique ; elle n'a presque rien d'héroïque, et quand elle en a l'apparence, c'est souvent à cause d'un malentendu, comme dans le cas de l'exécution de Sordi et Gassman, dans La Grande Guerre.





On peut même dire que la plupart du temps, la mort nous saisit au moment le moins opportun. De la veillée funèbre jusqu'aux funérailles, avec tout ce qui peut se passer pendant l'enterrement, la mort peut fournir une matière comique extraordinaire. (...)



L’Éloge funèbre, extrait du film Les Nouveaux Monstres, sketch réalisé par Ettore Scola


Il y a une phrase que j'ai trouvée et recopiée dans les Pensées de Leopardi, il s'agit plus exactement de la pensée n. 78 ; c'est une pensée que je partage et que j'ai cherché, parfois même avec succès, à mettre en pratique dans mes films que je considère comme réussis : "Grande et terrible est chez les hommes la puissance du rire : contre elle, nul dans sa conscience ne peut se prémunir. L'homme qui a le courage de rire est le maître du monde, presque autant que celui qui est préparé à mourir."»

(Traduction personnelle)






Già la pioggia è con noi (Déjà la pluie est avec nous)

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Già la pioggia è con noi, 
scuote l'aria silenziosa. 
Le rondini sfiorano le acque spente 
presso i laghetti lombardi, 
volano come gabbiani sui piccoli pesci ; 
il fieno odora oltre i recinti degli orti. 

Ancora un anno è bruciato, 
senza un lamento, senza un grido 
levato a vincere d'improvviso un giorno.

Salvatore Quasimodo  Nuove poesie (1936 - 1942)






Déjà la pluie est avec nous,
elle secoue l'air silencieux.
Les hirondelles effleurent les eaux éteintes
sur les petits lacs lombards,
piquant d'un vol de mouettes sur les poissons minuscules ;
le foin sent bon derrière les enclos des jardins.

Encore un an de brûlé,
sans une plainte, sans un cri
soudain levé pour vaincre le jour. 

(Traduction personnelle)






Images : grazie a memo52foto  (Site Flickr)
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