Francesco M. Cataluccio publie chez Sellerio un très joli guide du musée des Offices de Florence, qu’il a beaucoup fréquenté depuis son enfance (son père l’y conduisait le dimanche, en lui faisant découvrir à chaque fois une nouvelle salle). L’ouvrage s’intitule La memoria degli Uffizi [La mémoire des Offices] ; j’en extrais ce petit passage où il est question de la représentation des ombres dans la peinture :
Enfant, je m’étonnais toujours du fait que dans les peintures du treizième et du quatorzième siècles, il n’y avait pas d’ombres. Les figures du Christ, de la Madone et des saints étaient comme suspendues sur les sols riches et colorés, souvent recouverts de tapis et d’étoffes. J’étais envahi par une profonde et aveugle inquiétude : un homme sans ombre n’a pas d’identité, c’est comme s’il n’avait plus aucune preuve de son existence matérielle. Si l’on possède une ombre (comme Dante lui aussi le remarqua dans l’Enfer, X, 53) (1), c’est que l’on a un corps et que l’on est vivant, autrement, on est un ange ou l’on n’appartient plus à ce monde. Cette idée continuait à me trotter dans la tête même quand j’allais au stade pour assister aux matchs de football joués en nocturne. Les lumières croisées des puissants projecteurs effaçaient les ombres des joueurs qui semblaient flotter sur le stade, comme s’ils évoluaient dans un élément immatériel, tels les anges des peintures médiévales. Je finissais par me distraire, et peut-être aussi à cause de l'approche du sommeil, les ombres envahissaient le champ visuel d’un petit garçon dénué des instruments sophistiqués qui lui auraient permis de résoudre les contradictions de la vision mentale.
Avec mon frère, nous nous amusions à partir à la découverte du premier tableau où l’on voyait apparaitre les ombres des personnages. Gombrich, dans son ouvrage passionnant sur les ombres (2), soutient que Masaccio fut le premier à les peindre, mais les deux tableaux de lui qui se trouvent aux Offices ne sont pas les plus indiqués pour confirmer sa théorie. En revanche, il y en a bien une esquisse dans la Madone des Pazzi d’Andrea del Castagno (une trace d’ombre derrière les pieds de saint Jérôme). À l’époque de Botticelli, l’utilisation des ombres était devenue tout à fait habituelle.
Francesco M. Cataluccio La memoria degli Uffizi Sellerio editore Palermo, 2013 (Traduction personnelle)
(1) "Alors surgit dans l'ouverture une ombre / à côté de celle-là jusqu'au menton : / elle s'était mise, je crois, à genoux." (Traduction : Jean-Charles Vegliante)
(2) Ernst H. Gombrich Shadows : the Depiction of Cast Shadows in Western Art, 1995. Édition française : Ombres portées : leur représentation dans l'art occidental, Gallimard, 1996.
(1)Cimabue Maestà, env. 1280, Musée du Louvre, Paris
(2) Andrea del Castagno Madonna di casa Pazzi, 1443, Musée des Offices, Florence
(3) Masaccio Cacciata di Adamo ed Eva, 1426-1427, Chapelle Brancacci, Florence
(1) "Alors surgit dans l'ouverture une ombre / à côté de celle-là jusqu'au menton : / elle s'était mise, je crois, à genoux." (Traduction : Jean-Charles Vegliante)
(2) Ernst H. Gombrich Shadows : the Depiction of Cast Shadows in Western Art, 1995. Édition française : Ombres portées : leur représentation dans l'art occidental, Gallimard, 1996.
Images, de haut en bas :
(1)Cimabue Maestà, env. 1280, Musée du Louvre, Paris
(2) Andrea del Castagno Madonna di casa Pazzi, 1443, Musée des Offices, Florence
(3) Masaccio Cacciata di Adamo ed Eva, 1426-1427, Chapelle Brancacci, Florence