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Marsiho

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C’est en 1930 qu’André Suarès (1868-1948) écrit Marsiho, à la demande de l’éditeur Trémois. À cette occasion, il revient à Marseille, qu’il a quittée à quinze ans et qu’il n’a plus revue depuis 1892, date de la mort de son père. La relation de l’écrivain avec sa ville natale a toujours été contrastée, faite d’attachement viscéral et de haine farouche, et l’on retrouve tous ces sentiments ambigus dans Marsiho. En une avalanche de métaphores, Suarès décrit la cité comme une Circé géante, séduisante et dangereuse, fascinante et repoussante. Ses monuments lui semblent laids et sans grand intérêt, à l’exception du Château-Borély et de l’abbaye Saint-Victor, à qui il consacre un merveilleux chapitre, mystérieux et profond comme une confession ; il raille volontiers les Marseillais qui préfèrent le commerce à l’art, les fausses valeurs à la grande pensée et à la vraie poésie. Mais ce qui le fascine et l’enthousiasme, c’est la vitalité de la ville, cette énorme énergie qui anime ses quartiers chauds (le Pornéion de Marseille), ses marchés aux éventaires chargés de poissons et de coquillages «couchés en parures, en colliers, aux écrins mouillés des algues», ses quais où accostent les balancelles belles et rondes dans le vent, avec leurs cargaisons d’oranges des Hespérides. «Nul peuple ne croit plus fortement à la vie», écrit Suarès, et son lyrisme s’accorde naturellement à cette ville vibrante, voluptueuse, écrasée par le soleil et vivifiée par le mistral qui la secoue et la glace ; puissance irrépressible du vent qu’évoque magnifiquement ce passage : 

Par un matin de pierre dure, au temps de Pâques, entre avril et mars, si tu peux rester debout sur le balcon de Notre-Dame-de-la-Garde, quand souffle le mistral et que l’équinoxe joue à la balle avec les bateaux sur la mer, tu fais, sans quitter le roc, la traversée de la tempête la plus sèche qui soit au monde. Regarde Marseille sortir du sommeil, secouer la première paresse qui suit le réveil, et se ruer à la vie de nouveau. Tiens-toi ferme à la rampe. Tu es sur le pont du plus haut bord entre tous les navires ; tu n’as peut-être pas ton bon sens, si tu te crois à l’ancre. Le ciel craque. La grande haleine éparpille le soleil en poudre d’or : elle vibre ; jamais elle n’est tarie, jamais elle ne retombe ; elle se tisse elle-même en rayons qui dansent. Et les trombes blanches de la poussière se poursuivent dans les rues et les chemins, comme si la terre secouait sa farine. L’air blanc est de pierre ; de pierre blanche, la ville. Au loin, les Acoules en pierre rose ont un air de laurier en fleurs ; et tout est pris dans l’étau de la mâchoire en pierre bleue du ciel et de la mer.




Notre-Dame-de-la-Garde est un mât : elle oscille sur sa quille. Elle va prendre son vol, la basilique, avec la Vierge qui lui sert de huppe. Quelle masse solide résiste au mistral ? Il n’est pas de vent plus maître que celui-là. Et le mistral lui-même, à Notre-Dame-de-la-Garde, n’a d’égal que le mistral sur le pont d’Avignon, sur le plan des Baux et sur la mer ferme de Camargue. Voilà ses trois résidences, ses libres capitales, ses grands jeux de géant sur la joue des maisons, et la nuque des hommes, dans les naseaux des taureaux à l’œil rouge, et la crinière des jeunes chevaux, ivres de vitesse et fous d’espace. Crie, si tu veux : tu n’entends pas ta voix, et ton cri est le soupir du petit qui tête. Mets ton chapeau sous tes pieds, si tu ne veux pas qu’il coiffe le château d’If. Heureuse la tête chauve sur cette hune. Serre-toi dans tes hardes, fais la momie dans ton manteau : ce vent te coupe la peau et te pèle à la pointe du couteau ; il glace les ramilles du souffle au fond de ta poitrine ; il te glisse sur la langue un glaçon, et un scalpel de neige entre les lèvres. Et de là-haut, Marsiho est nue. Le mistral lui arrache tous ses vêtements et la nudité révèle la splendeur de la ville. Les monuments, les trésors de l’art, les œuvres dorées de Néron, ne sont pas tout : il faut voir aussi les villes nues et les comparer entre elles. Ni marbre ni bronze, ni églises sublimes, ni palais illustres, la beauté de Marseille est faite de la vie seule : elle éclate comme une grenade mûre, dans le sang de chaque grain, dans le total des couleurs et de la forme. Ainsi, les corps admirables de la jeune fille et du jeune homme, d’où l’ornement est proscrit, prennent toute beauté de l’équilibre et du jeu harmonieux des organes. Marsiho est là, dans le vent, qui bondit et qui vit. Sa seule présence fait toute sa vertu : il ne lui faut rien de plus pour être belle. Sa violence même est mélodieuse. Elle s’offre aux yeux dans son plan et sa géométrie. Elle est couchée sur le dos : ses deux cuisses sont levées, les pieds forts et solides sur la terre, au sud la Corniche jusqu’à Mont-Redon, au nord la Joliette jusqu’à Berre. Sur le genou droit, les Acoules ; Notre-Dame-de-la-Garde, sur le gauche ; et le sexe de cette Circé puissante, long et du plus fier dessin, s’ouvre par le Vieux Port. Les mâtssont dans la ville ; les bateaux mouillent au milieu des rues pleines d’hommes. La tête, on ne sait où, dans l’oreiller d’Aix, peut-être, contre le mur de la Sainte-Victoire. Et la mer, la mer, en toutes ses écailles qui tremblent, la mer est la grande dorade, toute d’argent aux reflets de cristal indigo, avec son bandeau d’or sur le front, sa belle bouche de laque noire, et le liquide vermillon du sang à l’ouïe, où trempent aussi des feuilles d’or.

Comme le vent, au milieu du jour, redouble de force et de joie folle, pour ne pas geler de froid dans ce souffle de glace, si l’on s’offre au soleil d’aplomb, une flamme parcourt, de la tête aux pieds, celui qui contemple. Le plus ardent désir de possession et de caresse le saisit alors et une fois, un matin d’ouragan, comme il était seul sur cette proue de pierre, la jeune fille de ses vœux est entrée nue sous son manteau. Soudain, un grand coup de tonnerre, suave et profond, un coup de gong céleste ébranle l’air, la colline, la basilique, le ciel et toute la ville : midi sonne au bourdon de la Vierge, ce bourdon au "fa dièse" des profondeurs, cloche d’or pourpre et bleu, où vibre la vie de toute la cité, qui règle toutes ses heures, vague sonore où retentit une onde puissante à l’égal de la respiration qui gonfle le sein de la nature.

André Suarès  Marsiho  (Réédition : Jeanne Laffitte, 2009)






Un très bon texte sur André Suarès et la genèse de Marsiho : à lire ici.


Images : merci à Marian Taralunga pour toutes les photographies  

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