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« Il y a de la lumière »

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Le 25 mars, jour de l’Annonciation, Neville Rowley, Caroline Duchatelet — une artiste plasticienne qui désirait filmer l’événement— et moi, nous sommes allés au couvent de San Marco assister à l’arrivée de la lumière, à l’aube, bien avant que n’arrivent les visiteurs. (...) 




Il fait encore nuit, il n’y a personne dans les rues, nous arrivons au couvent San Marco. Nous frappons à la porte, on nous mène à travers le cloître jusqu’à l’Annonciation ; nous nous installons face à elle, sur les marches de l’escalier qui mène au corridor
On éteint les spots. Il fait noir dans l’escalier, la fresque semble lointaine, pâle, voilée. On discerne l’Ange et la Vierge, la forme du portique, l’immense douceur de l’espace. On ne voit pas bien, et pourtant, même dans le noir, il y a de la lumière. Elle semble abritée à l’intérieur de l’ombre. On dirait qu’elle respire. Le mur vibre. (...)




L’Annonciation s’adresse à chacun de ceux qui la regardent, comme elle s’adressait aux moines qui passaient devant elle pour rejoindre leur cellule. En témoigne l’inscription en bas de la fresque : « N’oublie pas de dire l’Ave Maria quand tu passes devant cette fresque.» 
Le silence qui habite la fresque se diffuse à nos corps qui se tiennent maintenant dans le calme qu’elle leur prodigue. La partie gauche de la fresque, c’est-à-dire le jardin, sort lentement des ténèbres. La fresque vient ; elle semble se lever doucement depuis la lumière, comme si elle exerçait une poussée dans l’air. 
Chaque regard contient une attente, chaque regard mesure son attente. Le corps se dispose en fonction de ce qui l’anime. Je suis maintenant complètement couché dans l’escalier, embusqué, le regard tendu vers l’Ange et la Vierge, comme à la chasse. 




Le jardin s’annonce. C’est la lumière qui a fait le ciel, la terre, la mer, les arbres. La lumière de la Genèse qui rejoue le temps de la naissance. Elle vient du jardin, c’est-à-dire du premier temps, celui d’Éden, et s’ouvre à ce nouveau lieu qu’est la parole évangélique. La parole qui traverse un corps fait de celui-ci le lieu d’une naissance. Un tel prodige est valable pour la vie de l’esprit, mais aussi pour l’art. 




Voici que les ailes de l’Ange sortent de l’ombre. Leurs couleurs sont celles du jardin : des verts, des rouges, des jaunes. Elles portent la lumière de ce qui vient d’avant— depuis la gauche, depuis le petit jardin clôturé d’Ève ; puis s’ouvrent en dégradé vers ce qui advient de la rencontre avec la Vierge, nouvelle Ève, dont le jardin est maintenant intérieur. 
Ce n’est pas encore un rayon qui passe, mais une ouverture de l’intérieur. Les couleurs se lèvent. Toute la fresque est appelée par le corps de la Vierge, par son étrange courbure d’accueil. La lumière se dirige lentement vers elle. Espace ovale où se tient la Vierge, dont le corps lui-même compose une figure ovale. Elle est l’espace qui reçoit la nouvelle que lui apportent l’Ange et la lumière : celle de la fenêtre, celle de la parole de Dieu. (...) 




Voici que l’intensité du rayon s’ajuste, on perçoit de nouveau l’Ange. La lumière, plus douce, monte vers le visage de la Vierge. 
Présence pure de la courbe éclairée par l’auréole. La lumière la touche, elle est lovée dans le consentement qui la gratifie. Une féminité infinie s’ouvre à l’événement qu’elle accueille. Une immense douceur inonde l’équilibre de la scène. La sensualité est une modalité du repos : lignes, rondeurs — on est dans le monde de la parole qui ouvre sans bruit. 
Oui, la Vierge est penchée doucement sur son expérience intérieure. Recueillie, elle coïncide avec la lumière. Elle sait ce qui a lieu en elle et qu’on ne peut pas voir : la naissance d’un dieu. À travers son visage et ses couleurs rose et sable, la lumière s’offre, claire et pensive : elle est l’incarnation de la grâce. 
Le rayon atteint l’extrémité droite de la scène, la lumière rejoint la Vierge, son visage, ses mains, son auréole, son tabouret. La parole de l’Ange se transporte en silence jusqu’à cette ombre discrète qu’on remarque sous le tabouret, derrière la Vierge. N’est-il pas écrit qu’elle sera « couverte » par une « ombre » ? 
Ce grand silence qui passe entre l’Ange et la Vierge est une voix sans limites, comme celle qui brûle à travers un buisson. L’espace est maintenant entièrement éclairé. L’Annonciation a eu lieu.

Yannick Haenel  Je cherche l'Italie  L'Infini / Gallimard, 2015








Images : (2) Steven Zucker  (Site Flickr)

(3) et (4) Neville Rowley

(1), (5) et (6) Fra Angelico  L'Annonciation (fresque, couvent de San Marco, Florence) 





Una botta di malincunia (Un coup de cafard)

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La dernière enquête du commissaire Montalbano, La giostra degli scambi [Le manège des confusions] commence par une lutte à mort avec une mouche, et une première confusion qui va en entraîner bien d’autres, tout au long de l’histoire. À chaque nouvel épisode, c’est un vrai plaisir de retrouver le petit monde du commissaire et surtout la langue merveilleuse d'Andrea Camilleri, ce savoureux mélange d’italien et de sicilien si particulier à cet auteur. L’intrigue est ici encore parfaitement maîtrisée, avec ce qu’il faut de rebondissements et d’équivoques pour égarer le lecteur et le tenir en haleine jusqu’à la révélation finale; mais ce que j’aime particulièrement dans les dernières enquêtes du commissaire de Vigàta, ce sont les moments plus introspectifs où Montalbano s’interroge sur le temps qui passe et la vieillesse qui approche. Je cite ici l’une de ces pauses mélancoliques (presque léopardienne avec cette lune immense dans une nuit de septembre douce et maternelle), où l’on perçoit aussi la voix de l’auteur (quatre-vingt-dix ans en septembre prochain), si paternellement lié à son personnage : 

« Tornò bastevolmenti ‘n anticipo a Marinella. Era ancora troppo presto per mangiare, tanto che non annò a rapriri né il forno né il frigorifiro per vidiri quello che gli aviva priparato Adelina propio per non cadiri ‘n tintazioni. 
S’assittò nella verandina, s’addrumò ‘na sicaretta. 
La notti settembrina era carizzevoli e materna. C’era ‘na luna accussì tunna e vascia che pariva un palloncino da picciliddri sospiso a mezz’aria. 
La linia dell’orizzonti era signata dalla luci trimolanti delle lampare. 
Vinni pigliato da ‘na liggera botta di malincunia al pinsero che, ‘n autri tempi, di sicuro si sarebbi fatto ‘na gran natata. Ora non era cchiù cosa.
E macari Livia... L’ultima vota che l’aviva viduta, aviva arricivuto ‘na pugnalata al cori. Le rughe sutta all’occhi, i fili bianchi nei capilli... Quant’erano veri i versi di quel poeta che amava : 
Come pesa la neve su questi rami. 
Come pesano gli anni sulle spalle che ami. 
[...] 
Gli anni della giovinezza sono anni lontani. 
Si scotì. Si stava lassanno annare al compatimento di se stisso, che è propio il vero signo delle vicchiaglie. O non era chiuttosto la solitudini che accomenzava a pisarigli chiossà della nivi supra i rami ? 
Meglio addedicarisi all’indagini che aviva tra le mano. » 

Andrea Camilleri  La giostra degli scambi  Sellerio editore Palermo, 2015
 




« Il rentra à Marinella avec un peu d’avance. Il était encore trop tôt pour dîner, et, pour ne pas céder à la tentation, il préféra éviter d’ouvrir le four ou le réfrigérateur pour voir ce que lui avait préparé Adelina. 
Il s’assit dans la véranda et alluma une cigarette. 
La nuit de septembre était douce et maternelle. Il y avait une lune si ronde et si grande qu’on aurait dit un ballon suspendu dans l’air. 
La ligne de l’horizon était marquée par les lumières tremblotantes des lamparos.
Il fut pris d’un léger accès de mélancolie à la pensée qu’en d’autres temps, il aurait certainement été nager. Maintenant, il valait mieux éviter. 
Et même Livia... La dernière fois qu’il l’avait vue, il avait reçu un coup de poignard dans le cœur. Les rides sous les yeux, les fils blancs dans les cheveux... Comme ils étaient vrais, les vers de ce poète qu’il aimait : 
Comme la neige pèse sur ces branches. 
Comme les années pèsent sur les épaules aimées. 
[...] 
Les années de la jeunesse sont désormais lointaines.  (1)
Il se secoua. Il était en train de se laisser aller à l’autocompassion, qui est justement la caractéristique principale de la vieillesse. Ou n’était-ce pas plutôt la solitude qui commençait à lui peser plus que la neige sur les branches ? 
Il valait mieux revenir à l’enquête qu’il était en train de mener. »

(Traduction personnelle)

(1) Camilleri cite ici une poésie d'Attilio Bertolucci, La neve [La neige], extraite du recueil Lettera da casa.






Images : au centre, Luca Zingaretti dans le rôle du commissaire Montalbano

en bas, Josema Dieguez  (Site Flickr)

L'instant et la source

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Je cite ici un deuxième extrait de l'ouvrage de Yannick Haenel Je cherche l'Italie (Le titre est une citation de l'Énéide (I, 380), au moment où Énée, après avoir abandonné Troie en flammes, fait naufrage : il débarque sur une île et ses premiers mots sont pour demander son chemin. Il dit "Italiam quaero" ["Je cherche l'Italie"]). Dans un chapitre intitulé Approche de la fissure (Une sainteté), Haenel évoque le lieu franciscain de La Verna, situé à l'est de la Toscane, sur une colline boisée au pied des Apennins. Il s'y livre aussi à une belle méditation sur l'idéal de pauvreté et la liberté franciscaine : 

Au sommet, à un peu plus de mille mètres d’altitude, s’ouvre le sanctuaire : c’est «la montagne des Stigmates», comme l’annonce une pancarte. Je garai la voiture sur un petit parking, à l’entrée duquel se dresse une statue de François qui demande à un enfant de laisser s’envoler les tourterelles qu’il allait vendre. 
J’empruntai le chemin creusé dans la pierre, qui mène vers la solitude de l’ermitage. Ce chemin, ces grands hêtres, ces falaises, Ghirlandaio les a peints pour la chapelle Sassettià Florence. Tout en haut, encastrés au fil des siècles autour des lieux où saint François séjourna, il y a une basilique, un campanile, un couvent, une série de cloîtres, une petite église et de multiples chapelles qui forment un ensemble voué à la méditation. (...)





François s’est retiré ici, à la Verna, en 1224, deux ans avant sa mort. Il est affaibli par la maladie, fatigué par les dissensions qui affectent son ordre, qu’il n’aura cessé jusqu’au bout de réorganiser et dont il récrira maintes fois la règle, afin de l’adapter aux rigueurs de l’idéal de pauvreté qui l’habite et aux exigences de la curie romaine, qui voit la réalisation intégrale de L’Évangile comme un scandale — un défi à son pouvoir temporel. 
Dans la vie de François, le séjour à la Verna relève d’une décision de solitude. Car seul, il l’a rarement été : la solitude ne s’accorde pas avec le règlement de la communauté. (...) Comment se tenir dans la vérité d’une telle présence ? J’essaie de comprendre. L’espace, le volume, le mouvement se concentrent en un point qui tourne sur lui-même. Une telle pensivité s’ouvre à un amour infini, c’est une image de l’indemne. Voilà : l’indemne est une étendue de pensée bleue et blanche — le contraire de l’enfer. Et précisément, l’enfer se définit comme le lieu où l’amour n’existe pas. En enfer, on n’aime pas ; ainsi l’indemne est-il un visage de l’amour. 
Je suis descendu par un escalier vers le Sasso Spico, ce gouffre humide qui s’ouvre dans le bloc des rochers. Je me glisse à travers un passage étroit qui fend la montagne en deux, je pénètre à l’intérieur de la grotte. Ici, l’abîme est aussi un refuge : l’équilibre des roches appuyées les unes sur les autres forme une percée de vide. Une telle percée relève-t-elle du «lieu» — c’est-à-dire de cet abîme qui accueille la divinité ? (...)




Saint François s’émerveillait de ces grottes et anfractuosités : à ses yeux, elles rendaient présentes les plaies et les blessures du Christ au creux desquelles il se réfugiait pour y vivre la Passion
Je suis sorti de la grotte et m’assieds sur un banc, entre les roches. Le calme donne forme à la pensée — ou est-ce la pensée qui accueille le calme ? Quelque chose se retire sans se cacher, en pleine lumière : l’instant s’offre comme source. 
Ce paysage de trous, de fissures, cet espace de la béance ne parlent que du vide : ils en offrent une approche vivante. La Verna se déploie ainsi comme un espace idéal pour une pensée de la pauvreté. Car se tenir vide de toute chose, c’est cela la pauvreté, celle que saint François appelait sa «Dame». 
Il y a un sermon de Maître Eckhart consacré à la «pauvreté en esprit» ; il y médite la parole de Jésus recueillie par Matthieu : «Heureux les pauvres en esprit, car le royaume du ciel est avec eux.» C’est par cette pauvreté qui est un abîme — à travers le néant où l’on n’est plus, à travers une disponibilité que le néant ouvre en nous — qu’on se dégage des conditions faciles, que s’anéantit en nous toute condition, même la condition humaine ; et qu’en se tenant dans ce «libre rien», on s’accorde à une expérience où le feu qui nous perce nous offre enfin d’être, c’est-à-dire de recevoir la béatitude. 
Dans la règle de 1221, François écrit : «Nous ne devons pas accorder plus d’utilité à l’argent et aux pièces de monnaie qu’aux cailloux.» Il est amusant de voir que Jacques Le Goff, après avoir cité cette phrase dans son Saint François d’Assise, qualifie le franciscanisme de «réactionnaire» et s’écrie : «N’est-ce pas une dangereuse sottise ?» Beau symptôme : on voit que la surdité au message évangélique mène à l’égarement. Car la pauvreté volontaire des franciscains ne relève pas de la sottise, mais au contraire d’une espérance, c’est-à-dire d’une alternative spirituelle et politique ; elle déjoue — conjure — le danger qui, dès le treizième siècle, commence d’arraisonner le monde occidental dans la logique unique du calcul. 
Est-il possible d’exister en dehors de la comptabilité ? Au fond, il n’y a pas d’autre question politique. La réponse franciscaine plaide pour une gloire du minoritaire : sortir du discours capitaliste, c’est tendre vers le saint.
Saint François d’Assise aimait se comparer à une «petite poule noire» : celle que le poulailler sacrifie. Celle qui est à l’écart, ne fait pas nombre, accuse le clivage. L’économie monétaire qui se met en place à l’époque de François est fondée sur un sacrifice : dès l’origine, les pauvres en incarnent le reste— les «balayures du monde, le rebut de tous les hommes», comme disent les Écritures. Ce reste du sacrifice, François en accentue la gloire.




La solitude franciscaine se propose comme expérience qui fonde la vie en dehors de l’appropriation. En tant que telle, cette expérience s’oppose au destin historique de l’économie occidentale. (...) 
Le «lieu» franciscain, dont la Verna est l’un des noms, s’offre ainsi comme une expérience qui tranche avec l’accomplissement global du monde. Il met en jeu, en dehors des logiques qui structurent la société, une autre manière d’être vivant : une autre liberté. Le nom même de saint François ne signifie-t-il pas : le Libre ? 

Yannick Haenel  Je cherche l'Italie  L'Infini / Gallimard, 2015






Images : (1)  Helena  (Site Flickr)

(2) Antonella di Vincenzo  (Site Flickr)

(3) Michel Corrent  (Site Flickr)

 (4) Ivan Iraci  (Site Flickr)

(5) Ottavia Romoli  (Site Flickr)


Lo Sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michel-Ange)

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Un homme pénètre dans une église et on ne voit d’abord que son ombre ; on n’entend que le bruit de ses pas qui résonnent dans l’espace immense, parmi les colonnes de marbre. Nous sommes à Rome, dans la basilique de Saint-Pierre-aux-Liens, située entre le forum romain et Sainte-Marie-Majeure. L’homme, c’est Michelangelo Antonioni, qui se met ici en scène dans ce qui sera son tout dernier film, un court-métrage intitulé Lo Sguardo di Michelangelo [Le Regard de Michel-Ange], tourné en 2004, trois ans avant la mort du cinéaste, alors âgé de quatre-vingt-douze ans. On le sait, Antonioni avait été victime quelques années auparavant d’un accident vasculaire cérébral qui l’avait laissé partiellement paralysé et totalement privé de l’usage de la parole.




Filmé en contre-plongée, il se dirige lentement vers le joyau de l’église : le tombeau du Pape Jules II, réalisé par Michel-Ange. Le regard de Michelangelo se lève vers ces marbres immenses, et la caméra s’arrête en gros plan sur les yeux clos du pontife ; de lents panoramiques explorent les statues tandis que par une série de champs-contrechamps s’installe un échange de regards silencieux entre le cinéaste et la figure centrale de cet ensemble : le terrible Moïse au regard furieux qui lui fait face. Dans son ouvrage Je cherche l’Italie, Yannick Haenel évoque de façon saisissante cette rencontre : « D’un silence à l’autre, qu’est-ce qui se passe ? De quelle nature est le passage entre le Moïse de Michel-Ange et son homonyme antonionien ? Est-ce le Moïse de Michel-Ange qui offre quelque chose à Antonioni, ou celui-ci qui fait de son mutisme une offrande ? La transparence inquiète de cet échange convoque dans sa mélancolie des figures immémoriales : sans doute Antonioni vient-il à la fois saluer la beauté et annoncer sa sortie, comme si, une fois son parcours artistique bouclé, il s’agissait encore de s’exposer au verdict de l’art, à la terrible endurance de son regard : rencontrer son propre silence dans le marbre, c’est se mesurer à l’énigme de la transfiguration. » 





Pendant un long moment, le duel se poursuit : les pupilles furieuses de Moïse, son inflexibilité marmoréenne face à la fragilité du cinéaste. La caméra s’approche au plus près du marbre dont elle explore les volutes, bientôt rejointe par la main tavelée et ridée du cinéaste, qui frôle et caresse la statue, comme pour en approcher le mystère. Les mains cherchent à dire ce que la bouche ne peut plus exprimer, mais en vain ; l’index se pose une dernière fois sur les lèvres tandis que de nouveau s’impose le regard outragé de la statue, qui perfore l’image. 






Ce rendez-vous avec la beauté et le divin nous fait aussi penser à la rencontre de Don Juan avec le Commandeur, cette terrifiante figure de pierre qu’évoque ici le Moïse de marbre, avec son regard bondissant et pétrifiant, que même la caméra renonce à soutenir, se réfugiant dans le flou d’un fondu-enchaîné.
Toujours en contre-plongée, le regard de Michelangelo se tourne alors vers l’une des figures qui entourent le Prophète, celle de Rachel, les mains jointes. Une dernière fois, la main effleure le marbre, semble parfois vouloir s’y poser, tandis que les bruits étouffés du dehors sont peu à peu recouverts par les notes du Magnificat de Palestrina, sur lesquelles le cinéaste s’éloigne à pas lents, s’immobilisant soudain le temps d’un dernier regard vers le tombeau qu’un plan large nous montre pour la première fois tout entier. On le voit de loin traverser la basilique et se diriger vers le rai de lumière qui surgit d’une porte étroite qu’il va bientôt franchir, avant un ultime fondu au noir : ce sera la dernière image de toute son œuvre, tandis que sur l'écran déserté le mystère se creuse et s’épuise dans les volutes sonores du Magnificat.






La Nuit complice

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Mylène Demongeot se souvient de sa participation, en 1959, au film de Mauro Bolognini La Notte brava (sur un scénario de Pasolini, le titre français — toujours aussi inspiré — est Les Garçons) :

« Mauro Bolognini me demande de participer, pour un sketch, trois jours de tournage, à son film Les Garçons. En vedettes, Laurent Terzieff et Jean-Claude Brialy côté hommes, Elsa Martinelli et Antonella Lualdi pour les dames... Chacun a son attaché de presse privé et n'a guère l'air d'aimer beaucoup l'autre, ce qui est assez folklorique à observer... Mon sketch est un duo avec Terzieff, et mon Dieu qu'il est beau dans ces années-là ! Le charme slave personnifié. Pour la première et unique fois de ma vie, je craque complètement pour mon partenaire avec qui, pour tout arranger, je n'ai qu'une longue scène de rencontre amoureuse !





Je craque, mais Bolognini a craqué, lui aussi... 
Ça l'excite de nous regarder nous étreindre, alors, le monstre, il nous fait recommencer les mêmes plans interminablement... Dix prises, quinze prises. Nous roulons sur le sol en nous embrassant voluptueusement, à bouche que veux-tu... Je n'en peux plus, je suis une femme fidèle et je m'en veux d'être aussi troublée ! 
Le soir, quand je rentre, je pleure et je vais dormir toute seule. Coste (1) n'est pas très content — je le comprends —, mais je refuse absolument qu'il vienne sur le plateau. Manquerait plus que ça ! C'est la première fois que ça m'arrive... 
Et le lendemain, on remet ça... Trois jours de supplice !





Quand je revois ce film en noir et blanc où, franchement, je suis merveilleusement photographiée, je me trouve vraiment belle et la sensualité qui se dégage de cette scène n'est pas bidon, non, non ! 
Il y aura, un soir, un dîner de fin de film. À Ostia, près de la plage, par une belle nuit étoilée. Alain Cuny est là avec nous, je ne sais pas pourquoi, et court après Terzieff, voulant absolument jouer au ballon avec lui sur la plage ! 
Nous essayons, Laurent et moi, de nous isoler un moment pour pouvoir discuter un peu et nous dire au revoir. Coste, lui, me cherche partout. On dirait un vaudeville... Tout le monde surveille tout le monde... Brialy se marre. 
Fin de l'épisode. 
À Paris, nous nous reverrons pour le doublage de notre scène en italien. La traduction, très mauvaise, ne correspond en rien à ce que nous avons dit... (Oui, oui, il y avait du texte tout de même !) Donc, nous décidons de retrouver sur nos mouvements de bouche notre vrai texte et nous y arrivons très bien. C'est plutôt amusant à faire. Je range mon premier trouble de femme mariée dans un tiroir bien fermé à clé, mais c'est, encore aujourd'hui, un très joli souvenir qui a conservé toute sa magie... Rien, rien, il ne s'est rien passé dont nous puissions être honteux. »

Mylène Demongeot   Tiroirs secrets   Éditions Le Pré aux Clercs, 2001

(1) Il s'agit du photographe Henri Coste, que Mylène Demongeot a épousé en 1958 (ils resteront mariés jusqu'en 1968).








Pauvre François !

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Les dernières lignes du très beau François d'Assise de Joseph Delteil :


Pauvre François ! C'est un vaincu comme les autres (sans cigüe ou bûcher). On a dénaturé sa Portiuncule, violenté son cadavre. Sa vraie Règle (la Regula Prima de 1210) est ignorée, perdue. « Il n'y a jamais eu qu'un seul franciscain, dit mélancoliquement Chesterton, c'est saint François. »
Pauvre François !
C'est un scandale de voir la pauvre Portiuncule joliment "enjolivée", emboîtée, encagée comme un oiseau dans cette baroque bâtisse de porphyre et d'or : Sainte-Marie-des-Anges.
C'est un sacrilège d'avoir enseveli la dépouille du Petit Pauvre dans cette merveilleuse basilique d'Assise, faite pour les Papes et les Rois. Au mépris de sa volonté. François désire reposer à jamais dans sa Portiuncule, ce sont ses "dernières volontés". On a abusé de son cadavre : un détournement de cadavre... Ni piété ni chef-d'oeuvre ne justifient ça. C'est insupportable !
« Si on vous chasse par la porte, rentrez par la fenêtre ! » nous a dit saint François. Nous y veillerons !






Nous ?... toute une bande de conjurés, toute une Camorra, les maquisards de saint François... Le suprême vœu de saint François, la suprême revendication de Claire, qui sur son lit de mort a voulu serrer dans ses mains d'agonie, comme pour la défendre jusqu'à la tombe et par-delà la tombe, la Bulle de Pauvreté... (qui la lui arrachera de ses mortes mains ?...) Nous voulons libérer saint François. C'est juré ! c'est notre Pacte
Un beau jour, un de ces quatre matins... Après tout, un tremblement de terre nous donne l'exemple, ce tremblement de terre en 1832 qui rasa Sainte-Marie-des-Anges de fond en comble, ne laissant miraculeusement debout que la vieille petite Portiuncule de saint François... n'y voyez-vous pas malice, bonnes gens, pas la "main de Dieu" ?... Nous étions plusieurs centaines, armés de pics, de marteaux, de plastic, par une grasse nuit sans histoire... nous la ferons sauter à la dynamite votre Sainte-Marie-des-Anges, à la dynamite, rasibus. François le veut !... On força les portails à la hache, on bascula les piliers à bout de boeufs... tout s'écroula comme un château de cartes, par voûtes et parois, dans une triangulation parfaite... on déblaya les décombres au bull-dozer... jusqu'à ce qu'apparût dans son nid de richissimes ruines l'adorable petite Portiuncule de saint François...
Égide et Léon se faisaient la courte échelle dans leur tombe pour voir ça. Masseo s'en dandine d'aise, plus tambour-major que jamais...




Pendant ce temps, les autres conjurés opèrent à la basilique d'Assise. Ils ont fracturé la crypteà grand attirail, soustrait le Reliquaire de saint François. Et voici qu'ils nous l'apportent à grands pas d'aplomb par la vaste nuit processionnelle, sur leurs épaules d'amour. Ce Reliquaire étrangement léger et volage ce soir, comme s'il était de la conjuration. Le vent fera rage, il est de connivence. Les hiboux feront le guet, ils ont le mot d'ordre. L'Italie dormait dans son sommeil de coquillage. Quelque part là-haut à la latitude de Saint-Damien, sainte Claire souriait...
Nous nous hâtions, pleins de sueur et de volupté, le cœur plus palpitant que les palpitantes étoiles. Nous frayant un cheminà bec et ongles à travers les blocs de pierre. Enfin nous voici dans la Portiuncule. Il suffit de soulever trois dalles dans le chœur, de creuser trois pieds. C'est là que nous ensevelirons saint François... là dans sa Portiuncule, là où il veut dormir... À la françoise !

Joseph Delteil  François d'Assise  Grasset, 1960 (repris dans Œuvres complètes, Grasset, 1961






Un site consacré à Joseph Delteil



Images : en haut, Sacro Speco  Monastère de San Benedetto, Subiaco

au centre, (1)  Lorenzo Durandetto  (Site Flickr)

(2) Francesco Funaro  (Site Flickr)

(3) Paolo C.  (Site Flickr)

en bas, Fratello Sole, Sorella Luna, de Franco Zeffirelli




Gli amanti di Roma (Les amants de Rome)

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 Lì sotto l'arberi de Lungotevere
le coppie fileno li baci scrocchieno...
si nun sei pratico de regge moccoli
pè Lungotevere nun ce passà !

(Pè Lungotevere(Romolo Balzani))





                                           

Gianmaria Testa chante Gli amanti di Roma [Les amants de Rome] Paroles et musique de G. Testa :


Gli amanti di Roma

Sui ponti di Roma gli amanti son tanti
ma quanti, nessuno lo sa
e parlano e ridono
ridono e toccano
e guardano l'acqua che va
Non fa niente se piove o c'è il sole
non gl'importa del tempo che fa
gli amanti di Roma son tanti
ma quanti, chissà

Sui ponti di Roma gli amanti la notte
si dicono la verità
e parlano e piangono
piangono e toccano
e intanto c'è l'acqua che va
E poi quando li prende il mattino
si perdono per la città
e riempiono tutte le strade
che a Roma gli amanti
son tanti si sa.

E poi quando li prende il mattino
si perdono per la città
e riempiono tutte le strade
che a Roma gli amanti
son tanti
ma quanti chissà.

(Gianmaria Testa)




Les amants de Rome

il y a tant d'amants
d'innombrables amants
ils parlent, ils rient
ils rient et se touchent
ils regardent l'eau qui passe
qu'importe le temps
le soleil ou la pluie
il y a tant d'amants à Rome
tellement d'amants.

les amants la nuit
se disent la vérité
ils parlent, ils pleurent
ils pleurent et se touchent
cependant que l'eau passe
et quand le matin les surprend
ils se perdent dans la ville
et hantent toutes les rues
il y a tant d'amants à Rome
tellement d'amants.

(Traduction : Nicole Courtois et Gianmaria Testa)






Image : en bas, Ciceruacchio  (Site Flickr)

Captures d'écran

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Dans Ludwig, de Luchino Visconti, Marc Porel interprète le rôle de Richard Hornig, l'écuyer du roi Louis II de Bavière. Voici quelques captures d'écran pour se souvenir de sa brève mais belle présence dans le film :

















Torneranno i prati (Les prés reviendront)

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"Comm'è bella 'a muntagna stanotte...
bella accussí, nun ll'aggio vista maje !
N'ánema pare, rassignata e stanca,
sott''a cuperta 'e sta luna janca..."






Dans son dernier film, torneranno i prati [les prés reviendront], — l’absence de la majuscule dans le titre est volontaire — Ermanno Olmi raconte une nuit sur le haut-plateau d’Asiago, en 1917, au cœur de la première guerre mondiale, celle que l’on appelle en Italie la Grande Guerra [la Grande Guerre]. Au plus près des soldats retranchés dans un avant-poste en haute montagne, Olmi raconte la peur, la douleur, l’attente fébrile et la panique au moment des bombardements ; tout cela au cœur d’immenses étendues enneigées, sous un intense clair de lune, dans la paix de la nature, avec ses arbres qui ressemblent à des sapins de Noël et ses animaux familiers, comme ce renard soudain surpris par les fusées éclairantes et le fracas des mortiers frappant à l’aveugle. 
Le rythme du film est lent ; la caméra s’arrête sur les pauvres objets du quotidien (une lampe tempête, des gamelles, des photos accrochées aux montants de lits de fortune, des enveloppes marquées du tampon de la censure militaire...) et sur les visages des soldats la plupart du temps résignés, nostalgiques, que seul semble encore mobiliser un fragile instinct de survie. L’image est très travaillée, avec des dominantes sépia dans les intérieurs et une teinte bleutée pour les extérieurs, figés sous le givre et l’épaisseur de la neige. 
L’optimisme du titre est relativisé à la toute fin du film par les dernières paroles d’un soldat face à la caméra, juste après une séquence montrant, à travers des images d’archives, l’allégresse de la Libération : « Une fois cette guerre finie, chacun rentrera chez soi ; l’herbe nouvelle repoussera, et de tout ce qui s’est passé ici, de tout ce que nous avons souffert, il ne restera plus aucune trace, et plus rien ne semblera vrai.»




Je reprends ici quelques images du film pour illustrer un passage du roman de Mario Rigoni Stern Le stagioni di Giacomo [Les saisons de Giacomo], dont l'action se situe dans les mêmes paysages (la Vénétie et le haut-plateau d’Asiago), dans les années trente, c’est-à-dire entre les deux guerres. Le personnage dont il est question dans ce passage, Mario (sans doute un double de l'auteur), est un jeune homme qui se rend chaque jour sur le chantier où des ouvriers travaillent à l’édification d’un grand ossuaire destiné à recueillir les restes des soldats de la Grande Guerre, à qui l’on n’avait pu offrir jusqu’alors que des sépultures de fortune. Mario rejoint les ouvriers au sommet de la colline où ils travaillent afin de les approvisionner en nourriture et en boissons : 

« Un jour, il entendit un récit qui l’impressionna. Nando, du hameau d’Ecchelen, raconta ce qu’il avait vu un soir, tandis qu’il rentrait chez lui à la fin de sa journée de travail, après une halte à l’auberge de Marguerite où il avait bu un verre en compagnie de Vu. Parvenu aux Confins, à l’endroit exact où se trouve la croix, il se trouva devant une file silencieuse de soldats qui traversaient la route. La lune était pleine, et quand elle apparaissait derrière les nuages, on y voyait presque comme en plein jour. Les soldats étaient pâles, silencieux, ils marchaient sans faire de bruit, mais on entendait leurs soupirs. La longue file venait des montagnes du sud, traversait la cuvette entre les collines et remontait ensuite par la vallée de Nos vers les plus hautes montagnes.




D’autres files, plus morcelées, rejoignaient la principale en dévalant comme des ruisseaux du haut des montagnes. On ne voyait ni d’où elles partaient ni où elles arrivaient. Il était resté là jusqu’à l’aube, pétrifié, et quand la lumière du soleil remplaça celle de la lune, la vision se dissipa. 
— Ce sont les âmes des soldats morts, dit un vieux manœuvre qui avait fait la guerre comme conducteur de mulets
— Mais c’était des Italiens ou des Autrichiens ? demanda un autre.    
— Je ne m’en souviens pas, répondit Nando, peut-être les deux ensemble.
— Si tu veux mon avis, ajouta un troisième, tu avais bu un verre de trop et ça t’est monté à la tête. 
— Je n’étais pas saoul. Un demi-litre à deux, c’est vraiment rien. 
— Ici, nous travaillons à construire un ossuaire pour les restes des soldats, mais leurs âmes errent dans ces montagnes, dit celui qui était intervenu en premier. 
Ils restèrent silencieux jusqu’à ce que retentisse le sifflet du chef qui les rappelait au travail. Mario, troublé, rentra chez lui sans faire de halte dans les prés ; il monta dans sa chambre et se mit à sa table pour écrire une poésie qui a aujourd’hui disparu. Il n’en est resté que ces trois vers : "Sous la lumière froide de la lune marchent / ensemble dans les montagnes / les vivants et les morts". »






Le roman de Mario Rigoni Stern est disponible en italien aux éditions Einaudi, et en français  aux éditions Robert Laffont. J'en ai repris ici un extrait dans une traduction personnelle. Il n'y a toujours pas de date prévue pour une sortie en France du film d'Ermanno Olmi.






Traduction des paroles de la chanson napolitaine citée en exergue : "Comme la montagne est belle, cette nuit... / Belle comme je ne l'avais jamais vue ! / On dirait une âme résignée et lasse, / Sous la lumière de cette lune blanche..."

Cu' mme (Avec moi)

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Quand on évoque en France la chanson napolitaine, on pense surtout aux grands classiques, souvent repris par des ténors comme Placido Domingo, Luciano Pavarotti, ou plus récemment Vittorio Grigolo et Roberto Alagna ; il existe toutefois une chanson napolitaine d'aujourd'hui, de qualité certes inégale, mais qui parvient parfois à s'approcher des grandes réussites du passé. C'est le cas me semble-t-il de Cu'mme [Avec moi], une chanson d'Enzo Gragnaniello, composée en 1991 et interprétée par un vétéran de la chanson napolitaine, l'excellent Roberto Murolo, et par Mia Martini, une belle voix italienne qui connut un destin tragique :


Scinne cu ‘mme
nfonno o mare a truva’
chillo ca nun tenimmo acca’

vieni cu mme
e accumincia a capi’
comme e’ inutile sta’ a suffri’

guarda stu mare
ca ci infonne e paure
sta cercanne e ce mbara’

ah comme se fa’
a da’ turmiento all’anema
ca vo’ vula’
si tu nun scinne a ffonne
nun o puo’ sape’

no comme se fa’
adda piglia’ sultanto
o male ca ce sta’
eppoi lassa’ stu core
sulo in miezz a via

saglie cu ‘mme
e accumincia a canta’
insieme e note che l’aria da’

senza guarda’
tu continua a vula’
mientre o viento ce porta la’

addo ce stanno
e parole chiu’ belle
che te pigliano pe mbara’

ah comme se fa’
a da’ turmiento all’anema
ca vo’ vula’
si tu nun scinne a ffonne
nun o puo’ sape’

no comme se fa’
adda piglia’ sultanto
o male ca ce sta’
eppoi lassa’ stu core
sulo in miezz a via

ah comme se fa’
a da’ turmiento all’anema
ca vo’ vula’
si tu nun scinne a ffonne
nun o puo’ sape’

no comme se fa’
adda piglia’ sultanto
o male ca ce sta’
eppoi lassa’ stu core
sulo in miezz a via




Descends avec moi 
au fond de la mer pour trouver
tout ce qui nous manque ici.

Viens avec moi
 et tu commenceras à comprendre
qu'il ne sert à rien de continuer à souffrir.

Regarde cette mer 
qui nous effraie
elle cherche à nous apprendre...

Ah, comment peut-on
faire du mal à une âme 
qui veut s'envoler ?
Si tu ne touches pas le fond,
tu ne le sauras jamais !

Non, comment peut-on
vivre uniquement
pour répandre le mal
et abandonner cette âme solitaire
au milieu de la rue ?

Monte avec moi
et commence à chanter
avec les notes que l'air nous donne.

Sans regarder en bas
tu continues à voler
tandis que le vent nous conduit là-bas.

Là où se trouvent
les mots les plus beaux
que j'emporte pour te les apprendre.

Ah, comment peut-on
faire du mal à une âme 
qui veut s'envoler ?
Si tu ne touches pas le fond,
tu ne le sauras jamais !

Non, comment peut-on
vivre uniquement
pour répandre le mal
et abandonner cette âme solitaire
au milieu de la rue ?

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Alessandra Russo  (Site Flickr)

en bas, Michele Mazzella  (Site Flickr)




Une version de Cu'mme plus dépouillée et plus récente, interprétée par l'auteur, Enzo Gragnaniello

L'amitié en Sicile

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I racconti di Nenè reprend de larges extraits d’une interview télévisée qu’Andrea Camilleri a accordée en 2006 à deux journalistes, Francesco Anzalone et Giorgio Santelli. Camilleri y raconte les étapes fondamentales de sa vie et il y parle aussi de façon plus générale de la Sicile et de certains aspects du caractère insulaire. Dans le texte que je reprends ici, dans une traduction personnelle, il est question des caractéristiques de l’amitié sicilienne, bien difficiles à comprendre de l’extérieur. Il faut préciser qu’il ne s’agit pas à l'origine d’un texte écrit, mais de la retranscription d’une conversation, ce qui explique l’aspect parfois relâché du style, qui vise à conserver la spontanéité de la source orale :

« Sur le sujet de l’amitié, je crois que l’on a déjà écrit des centaines de livres, et je ne pense pas que je puisse ajouter grand-chose de nouveau. Je me bornerai donc à parler de l’amitié sicilienne, en cherchant à préciser ce qu’est le concept d’amitié en Sicile et comment il est mis en pratique. 
Je pense à un exemple que j’ai toujours trouvé frappant. 
Luigi Pirandello et Nino Martoglio (1) étaient des amis intimes, de vrais amis. C’est Martoglio qui a fait débuter Pirandello au théâtre, et qui l’a par la suite aidé de toutes les façons possibles. Ils étaient liés à la vie, à la mort. Dans leurs lettres, ils employaient même des expressions qui seraient aujourd’hui considérées comme embarrassantes, comme "Je vous embrasse sur la bouche, cher ami". 
On en vient alors à se demander : "Mais de quel type d’amitié peut-il bien s’agir ?"
Un lien encore plus fort que celui qui unit deux frères jumeaux : c’est un peu une définition par défaut de l’amitié, mais elle s’approche de la vérité.
Et puis, un jour, cette amitié s’est interrompue. 
Pour expliquer à Martoglio les raisons de cette interruption, Pirandello lui écrit : "Cher ami, l’autre soir, vous avez dit un mot, un seul mot, que vous n’auriez pas dû prononcer... "
Cela semble ridicule, mais ce mot avait à lui tout seul un poids qui remettait en question toutes les années d’amitié qui l’avaient précédé. 
On peut donc se demander si l’amitié sicilienne n’est pas un art plutôt difficile à pratiquer. 
Je me suis souvent rendu compte qu’entre Siciliens, un véritable ami ne doit pas demander à l’autre quelque chose ; cela n’est pas nécessaire puisqu’il sera précédé par l’offre de l’ami, qui a déjà compris la demande qu’on était sur le point de lui faire. 
C’est un processus un peu complexe. En fait, obliger un ami à formuler une requête est la preuve d’une amitié imparfaite. 
Voilà pourquoi je parlais de jumeaux, parce que souvent, entre eux, on constate des échanges mentaux, par lesquels chacun comprend de façon magique les nécessités de l’autre.




Il y a encore une autre caractéristique merveilleuse de l’amitié sicilienne, et je vais l’illustrer avec un exemple. 
J’avais un ami très cher que je ne voyais plus depuis dix ans. J’étais déjà marié et je venais de m’installer à Rome. Il m’appelle et me dit : 
"J’ai deux heures de libre entre un train et l’autre et j’aimerais venir te voir."
Il vient à la maison et nous nous embrassons chaleureusement avant de nous asseoir côte à côte sur le divan. Deux heures s’écoulent et mon ami se lève, m’embrasse et s’en va. 
Ma femme, qui non seulement n’est pas sicilienne mais a de plus reçu une éducation milanaise, me dit avec stupéfaction : 
"Mais vous ne vous êtes même pas parlé, vous ne vous êtes rien dit, vous êtes restés silencieux, vous avez à peine échangé cinq ou six mots !"
Elle ne pouvait pas comprendre combien de choses nous nous étions dites, en amis véritables, à travers tout ce silence. 
Et voilà un autre aspect mystérieux et indéchiffrable de l’amitié sicilienne. »

Andrea Camilleri  I racconti di Nené   Universale Economica Feltrinelli, 2014  (Traduction personnelle)

(1) Nino Martoglio (1870 - 1921) a été un célèbre poète et dramaturge sicilien ; il mit en scène les première œuvres théâtrales de Pirandello, et écrivit même avec lui des pièces in dialetto, c'est-à-dire en sicilien.



La Mer

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Je cite ici, dans une traduction personnelle, un deuxième extrait de l'ouvrage I racconti di Nené, d'Andrea Camilleri ; je rappelle qu'il ne s'agit pas à l'origine d'un texte écrit, mais de la retranscription d'une conversation de l'écrivain avec deux journalistes :

« Mer...
La mer me fait d’abord penser aux pêcheurs, les merveilleux pêcheurs de mon pays. 
D’abord avec leurs tartanes, qui étaient des sortes de barques à voile, puis avec les chalutiers, dans la période faste de Porto Empedocle, qui était alors le deuxième port de pêche italien, avant de perdre cette place en faveur de Mazara del Vallo. 
Chaque fois que je monte sur une bateau, je sens se recomposer en moi une sorte d’équilibre, que je perds aussitôt quand je regagne la terre ferme.
Je peux encore plonger et rester sous l’eau assez longtemps. Et je m’amusais beaucoup en jouant ce bon tour à ceux qui ne me connaissaient pas : rester longtemps sous l’eau en apnée et susciter l’inquiétude chez ceux qui m’accompagnaient. Et je parviens à la faire encore aujourd’hui malgré toutes les cigarettes que je fume.




En somme, l’élément aquatique est fondamental pour moi. 
La première fois que je quittai Porto Empedocle pour gagner l’intérieur de la Sicile, j’allai à Caltanisseta avec mon père, pour je ne sais plus quelle raison ; nous partagions la même chambre. 
J’étais enfant et je n’arrivai pas à trouver le sommeil. 
Mon père me demanda : "Pourquoi ne dors-tu pas ?"
Je ne parvenais pas à m’endormir sans comprendre pourquoi. Puis je me rendis compte que le bruit de la mer me manquait. 
J’ai assisté à de grands moments d’héroïsme liés à la mer. J’ai passé toute la période de la guerre à Porto Empedocle, où se trouvaient les navires de l'armée, et là, j’ai pu connaître des gens qui recevraient par la suite la médaille de la Valeur Militaire. 
Je me souviens par exemple de l’attaque mémorable d’un contre-torpilleurà trois cheminées, du même modèle que ceux que l’on utilisait pendant la guerre de 14-18. Ce contre-torpilleur était commandé par le Capitaine de vaisseau Margottini, qui avait amené son chien à bord. 
Un jour, pendant une patrouille, il se retrouva en face de la totalité de la flotte anglaise qui commença à le bombarder. Il comprit aussitôt que s’il voulait essayer de les couler, il devait s’approcher d’au moins trois-cents mètres, ce qui le rendait particulièrement vulnérable. Il arriva à trois-cents mètres de distance avec son navire en flammes, et il tira ; il toucha un croiseur, mais coula avec tout son équipage. 
Son chien, quand il le vit sur le point de se noyer, le saisit au collet et le ramena à la surface, lui sauvant ainsi la vie. 
Quand le Capitaine Margottini vint nous rendre visite, le chien eut droit à la place d’honneur et prit part avec nous aux festivités qui durèrent toute la soirée. 
J’aurais bien d’autres épisodes du même genre à raconter !




Toujours au sujet de la mer, je dois dire que le plus beau prix littéraire que j’ai reçu, celui que j’ai le plus apprécié, m’est venu de l’île bretonne d’Ouessant, là où les plus gros bateaux de pêche, ceux qui restent en mer pendant des mois, font escale avant leur départ. 
Sur l’île d’Ouessant, dont on peut faire le tour en quatre heures, et qui n’est qu’un morceau de terre autour d’un phare, avec quelques maisons et un port de pêche, on décerne chaque année un prix littéraire consacré à la littérature insulaire, autrement dit aux auteurs qui vivent dans une île.
Mon roman Il Birraio di Preston [Le Brasseur de Preston](1) se trouvait parmi les ouvrages sélectionnés. Le jury se réunit sur un chalutier et décida de me décerner le prix. 
La dotation était de quinze mille francs, mais on me précisa qu’il n’était pas nécessaire que je me déplace sur l’île pour les recevoir ; il suffisait que je fournisse mon adresse et mes coordonnées bancaires. On m’envoya donc la somme accompagnée de la motivation du jury qui était exactement celle-ci : "Bon livre" (2). 
C’est à mon avis l’une des plus belles motivations que l’on puisse trouver pour attribuer un prix à un roman ! »

Andrea Camilleri  I racconti di Nené  Universale Economica Feltrinelli, 2014  (Traduction personnelle)

(1) Il Birraio di Preston est paru en France sous le titre L'Opéra de Vigata, Editions Métailié, 1999.

(2) en français dans le texte








Images : (1) et (2) Angelo Spataro  (Site Flickr)


(4) Giovanni Fucà  (Site Flickr)




L'Été, l'Enfance

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Durant l’enfance, quand aucune impression ni émotion n’est encore devenue ordinaire, l’été, avec les déplacements qu’il amène, les profonds changements dans les habitudes de la journée, les fréquentes solitudes et les isolements qu’il impose, avec à pic au-dessus de la maison, les hauts silences écrasants ou dehors, dans la campagne, ce bourdonnement infini et ce lointain bruissement, suscite dans le cœur un égarement pareil à une blessure.

L’enfant sent qu’est en train de passer sur la terre quelque chose d’énorme, d’impérieux et de vague qui, dans les hommes, les animaux et les plantes, opprime et charme la vie. Un cataclysme silencieux et bleu dont l’effet est semblable à un grondement vertigineux se produit dans les profondeurs de l’air qui retient chacun de ses mouvements ou paraît secoué imperceptiblement. L’enfant écoute, concentre son regard : émerveillé, il distingue dans le silence quelques voix éparses où domine celle de la cigale, dans l’immobilité tant de légers mouvements : guêpes, fourmis, saut de grillons ; il réalise que le silence et le calme se composent de tous ces sons et mouvements imperceptibles.






L’été est alors une roche perforée, parcourue en tout sens, une ruche mystérieuse où l’enfant se sent égaré. Ses compagnons de jeu sont partis, chacun dans une direction différente ; maintenant, également égarés et solitaires, ils vivent chacun dans un alvéole de cette ruche infinie ; dans le cœur subsiste une pénible lacune. L’imagination cherche à la combler mais elle aussi se perd dans les labyrinthes bleus et profonds de l’été ; tant d’itinéraires ignorés, tant de traces qui mènent en un point que l’intelligence peut imaginer, puis qui se perdent dans l’inconnu. L’esprit de l’enfant se tend et vibre.

Parfois, le vent passe haut et dans les cyprès rend un son lointain et désolé qui produit un dernier accroc dans cette mystérieuse tension. Parfois, les nuages s’amoncellent et la pluie tombe à verse, mettant fin au charme comme à l’angoisse.

Mario LuziTrames Editions Verdier, 1986 (Traduction : Philippe Renard et Bernard Simeone)








Images : Io non ho paura, de Gabriele Salvatores, d'après le roman de Niccolò Ammaniti (Ed. Einaudi)






Gradisca...

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Magali Noël  (27 juin 1931 - 23 juin 2015)









Le temps passe et il y met le temps 
Les oiseaux s'envolent sur l'étang 
Le ciel bas, rayé de pluie et d'ombre 
Pèse sur les champs sombres 
Où rôde aussi le vent

 Je suis seule depuis déjà longtemps
 Je suis seule, je suis triste et j'attends 
Vers l'oubli glissent des jours sans nombre 
Le temps passe et il y met le temps 

Pourtant j'étais jeune et je valsais 
Au bal de la princesse 
Les hommes, les femmes et leurs rires frais 
Tournaient, tournaient autour de mon cœur 

Mais mon cœur est mort en plein printemps 
Il est là tout au fond de l'étang 
Dans les feux glissent des jours sans nombre 
Le temps passe et il y met le temps...

Tutto quello che passa in una via (Tout ce qui passe par une rue)

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Tutto quello che passa in una via

Passa con la sua fascinetta sotto il braccio
il povero spazzacamino tutto nero
che getta il suo grido acuto e triste
pieno di nostalgia, che fa pensare
a un Natale tra i monti
e a tante cose bianche e malinconiche ;
passa il filosofo cenciaiuolo
che si ferma a frugare col bastone
nell'immondizie accumulate
ai canti delle case ;
passa l'imbacuccata cerinaia,
poverina! che ha tanto freddo e porta
tanto fuoco con sé
da incendiare tutta la città ;
passano i mendicanti campagnoli
che si ferman di porta in porta
a chiedere la carità ;
passan le grigie squadre d'Orsoline
che vanno a passeggiare sulle mura
nel pomeriggio di domenica
ed i neri seminaristi
che si spargon tra gli alberi forensi
come corvi a pasturarsi,
reclute del paradiso ;
passan le coppie degli amanti preoccupati,
passan le coppie pallide degli sposi,
passano i vecchi stanchi,
passani i poveri morti
che vanno all'ultima dimora ;
passano i girovaghi
con la lor musica a tracolla
che non è buona che di piangere
o gli organi di Barberia
che ridon e piangono per pochi soldi
come i pagliacci ;
passano i curvi pellegrini stranieri
che domandano il cammino di Roma.

Corrado Govoni  Armonia in grigio e in silenzio, 1903






Tout ce qui passe par une rue

Passe avec son petit fagot sous le bras

le pauvre ramoneur tout noir
qui lance son cri aigu et triste
plein de nostalgie, qui fait penser
à un Noël dans la montagne
et à tant de choses blanches et mélancoliques ;
passe le philosophe chiffonnier
qui s'arrête pour fouiller de son bâton
les ordures amoncelées
aux coins des maisons ;
passe la marchande d'allumettes emmitouflée,
la pauvre ! elle a si froid alors qu'elle porte
assez de feu sur elle
pour incendier la ville entière ;
passent les mendiants campagnards
qui s'arrêtent de porte en porte
pour demander la charité ;
passent les grises files d'Ursulines
qui vont se promener sur les remparts
le dimanche après-midi
et les noirs séminaristes
qui s'éparpillent dans les arbres majestueux
comme des corbeaux cherchant leur pitance,
dans l'attente du paradis ;
passent les couples d'amants préoccupés,
passent les couples pâles des époux,
passent les vieux fatigués,
passent les pauvres morts
qui rejoignent leur dernière demeure ;
passent les vagabonds
avec leur musique en bandoulière
qui n'est bonne qu'à pleurer
ou les orgues de Barbarie
qui rient et pleurent pour quelques sous
comme les clowns ;
passent, le dos courbé, les pèlerins étrangers
qui demandent le chemin de Rome.

(Traduction personnelle)








Images : en haut et au milieu : Paolo Squarzoni  (Site Flickr)

en bas, Site Flickr




Proverbi siciliani (Proverbes siciliens)

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Cette chanson de Rosa Balistreri est composée d'une suite de proverbes siciliens. La traduction que j'en propose ici n'est pas littérale ; j'ai essayé de rendre la substance de ces proverbes en m'inspirant ça et là de certains dictons français presque équivalents et en jouant parfois sur les rimes, afin de conserver à ces diverses expressions leur forme de proverbes.

Tutti li cosi vannu a lu pinninu
ed a lu peju ‘un ci si nclina ognunu
a cu duna a cu leva lu distinu
e nun ci pari mai lu nostru dunu.

Nun curri paru lu nostru caminu
pocu cridi lu saggiu a l’importunu
lu riccu mancu cridi a lu mischinu
lu saziu nun cridi a lu dijunu.

Pi troppu ventu lu vasceddu sferra
pi la gran frevi lu malatu sparra
p’assai cunsigli si perdi la guerra
e pi tanti giudizii si sgarra.

Lauda lu mari e teniti a la terra
pensa la cosa prima ca si sparla
pirchì haju ntisi diri a la me terra
cu fa li cosi giusti mai li sgarra.

A chiànciri figliuzza chi cci cavi
lu sangu t’arribbelli e po’ murìri
pacenzia ci voli a li burraschi
ca nun ci mancia meli senza muschi.

Ma cu’ du lepri voli assicutari
nè unu e nè l’autru po’ aggarrari
ma cu nun fa lu gruppu a la gugliata
perdi lu cuntu cchiù di na vota.

Ci dissi lu jadduzzu a la puddastra
tuttu lu munnu è comu casa nostra
ci dissi la padedda a la gradiglia
haiu pisci grossi mancia e no fragaglia.

Accosta veni ccà mancia carduna
ca a lu casteddu mancianu picciuna
rispunni e dissi lu ziu Nicola
si la pignata ‘un vuddi nun si cala.

Lu picuraru ca fa la ricotta
lu sapi iddu l’amici c’aspetta
la furca nun è fatta pi lu riccu
è fatta pi la testa di lu porcu.

Nni la testa di un maiali
tu ci manci tu ci sciali
nni la testa d’un cunigghiu
nenti lassu e nenti pigghiu.

T’impirateddu ti vivi lu vinu
ca ti teni lu stomacu ntonu
cu ammucciau lu latinu
fu gnuranza di parrinu.

‘Un c’è festa e nè fistinu
si ‘un c’è un monacu e un parrinu
ma lu monacu da Badia
a Gesù lu patrunia.

C’è la monica di casa
a Gesù lu stringi e vasa
nni la casa di Gesù
nzoccu trasi ‘un nesci chiù.

Ma cu havi na bona vigna
havi pani, vinu e ligna
e lu trivuli e lu beni
cu cci l’havi si lu teni.

Quannu chiovi di matina
pigghia l’aratru e và simina
quannu veni lu giugnettu
lu frumentu sutta lu lettu
ma la luna di jnnaru
luci comu jornu chiaru.

Signuruzzu chiuviti chiuviti
ca l’arburelli su morti di siti
e si acqua ‘un nni mannati
semu persi e cunsumati.

L’acqua di ncelu sazìa la terra
funti china di pietàti,
li nostri lacrimi posanu nterra
e Diu nni fa la carità.

Nesci nesci suli suli
pi lu santu Sarvaturi
‘etta un pugnu di nuciddi
arricrìa li picciriddi
‘etta un pugnu di dinari
arricrìa li cristiani
‘etta un pugnu di fumeri
arricrìa li cavaleri.





Tout dans ce monde court à sa perte

et personne ne se résigne au pire
le destin est généreux pour certains et ingrat pour d’autres
mais personne n’est jamais content de son sort.

Notre vie n’est pas un chemin de roses
le sage ne se fie pas à l’importun
le riche n’a que faire du pauvre
et le repu se moque de l’affamé.

Trop de vent fait couler le navire
la fièvre fait délirer le malade
à trop écouter les conseils on perd la guerre
et trop d’avis divergents mènent à l’erreur.

Rends hommage à la mer mais garde bien les pieds sur terre
pense à ce que tu vas dire avant de parler
parce que, comme on le dit dans mon pays :
celui qui agit bien ne se trompe jamais.

Ma fille, à quoi cela te sert-il de pleurer ?
Tu vas mourir à force de te ronger les sangs
il faut être patient au milieu des tempêtes
et l’on ne mange pas de miel sans attirer les mouches.

Qui veut courir deux lièvres à la fois
n’attrapera ni l’un ni l’autre
mais qui oublie de faire un nœud au fil de l’aiguille
risque de se retrouver bien démuni.

Le coq dit à la poule :
le monde entier est notre maison
et la poêle dit au gril
j’ai de beaux poissons, pas du menu fretin.

Ici on ne mange que des chardons
tandis qu’au château ils se régalent de pigeons
et à cela l’oncle Nicolas répond :
l’important est de pouvoir faire bouillir la marmite.

Le berger qui fait son fromage
connaît bien tous ses invités
le gibet n’est jamais pour le riche
mais pour le pauvre il est toujours dressé.

Avec une tête de porc,
on peut sûrement se régaler
mais dans une tête de lapin
il n’y a presque rien à manger.

Bois du vin avec modération
parce qu’il facilite la digestion
celui qui en perd son latin
devient ignorant comme un prêtre.

Il n’y a ni fête ni festin
sans un moine ou un prêtre
mais le moine de l’abbaye
se croit plus grand que Jésus-Christ.

Il y a la sœur de l’abbaye
qui embrasse et étreint Jésus-Christ
mais dans la maison de Jésus
tout ce qui entre ne ressort plus.

Qui a une bonne vigne
a du pain, du vin et du bois
bonheur ou malheur
il faut bien s’en contenter.

Quand il pleut de bon matin
il est temps de labourer et de semer
et quand viendra le mois de juin
la maison sera pleine de blé
mais la lune de janvier
comme en plein jour peut éclairer.

Seigneur ! Seigneur ! Faites qu’il pleuve !
car le verger est assoiffé
et si vous ne nous envoyez pas d’eau
nous serons perdus et ruinés.

L’eau du ciel rassasie la terre
grande source de bonté
nos larmes inondent la terre
et Dieu nous fait la charité.

Soleil, soleil, montre-toi
pour la fête du Sauveur
jette une poignée de noisettes
et tu raviras les enfants
jette une poignée de pièces d’argent
et tu feras plaisir aux grands
jette une poignée de fumier
ça ne plaira qu’aux cavaliers.

(Traduction personnelle)




 

Images : Renato Guttuso La Vucciria (1974)
Source de la vidéo : Site YouTube

Carmela

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Une des chansons napolitaines que je préfère, Carmela (Paroles : Salvatore Palomba, Musique : Sergio Bruni, 1976), merveilleusement interprétée par Mina :

Stu vico niro nun fernesce maje 
e pure 'o sole passa e se ne fuje. 
Ma tu stai llà, tu rosa preta 'e stella, 
Carmela Carmè ! 

Tu chiagne sulo si nisciuno vede 
e strille sulo si nisciuno sente, 
ma nun'è acqua 'o sanghe dint''e vvene, 
Carmela Carmè ! 

Si ll' ammore è 'o cuntrario d''a morte, 
e tu 'o ssaje. 
Si dimane è surtanto speranza, 
e tu 'o ssaje. 
Nun me può fà aspettà fin' a dimane, 
astrigneme 'int''e braccia pe' stasera, 
Carmela Carmè ! 

Ma tu stai llà,tu rosa preta 'e stella, 
Carmela Carmè 
Ma nun'è acqua 'o sanghe dint''e vvene, 
Carmela Carmè ! 

Si ll' ammore è 'o cuntrario d''a morte, 
e tu 'o ssaje. 
Si dimane è surtanto speranza, 
e tu 'o ssaje. 
Nun me può fà aspettà fin' a dimane, 
astrigneme 'int''e braccia pe' stasera, 
Carmela Carmè !




Cette ruelle obscure ne finit jamais
Même le soleil la traverse et s'enfuit.
Mais c'est là que tu vis, toi la rose, la poussière d'étoile.
Carmela, Carmela !

Tu ne pleures que lorsque personne ne te voit
et tu ne cries que si personne ne peut t'entendre,
mais ce n'est pas de l'eau qui coule dans tes veines,
Carmela, Carmela !

L'amour est le contraire de la mort,
et tu le sais.
Le lendemain est porteur d'espérance,
et tu le sais.
Mais ne me fais pas attendre jusqu'à demain,
serre-moi dans tes bras toute la nuit,
Carmela, Carmela !

(Traduction personnelle) 











Images : (1) et (3)Sophia Loren dans Une journée particulière, d'Ettore Scola

(2)Gustavo Pisani  Vicolo, olio su tela



La version du compositeur, Sergio Bruni

Torneranno le sere (Les soirs reviendront)

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Torneranno le sere a intepidire
nell’azzurro le piazze, ai bianchi muri
la luna in alto s’alzerà dal mare
e nella piena dei giardini il vento
fitto di case, d’alberi, di stelle
passerà per la grande aria serena.
Torneranno nel sogno anche le voci
delle famiglie illuminate a cena,
la rapida ebrietà del loro riso.


O finestrelle, pozzi, logge, vetri
attaccati alla vita, allo spiraglio
delle fresche delizie e dei rimpianti,
o luna nuova sulla mia memoria,
tornate ad albeggiare con quel canto
di parole perdute, con quei suoni
struggenti, con quei baci morsi al buio.
Siate la polpa rossa dell’anguria
spaccata in mezzo alla tovaglia bianca.


Alfonso GattoLa storia delle vittime, Mondadori, 1966.
 
Les soirs reviendront tiédir dans le bleu les places,
aux murs blancsla lune, haut, montera de la mer
et dans la crue des jardins le vent
dru de maisons, d'arbres, d'étoiles
passera dans le grand air serein.
Reviendront en rêve jusqu'aux voix
des familles éclairées au dîner,
la rapide ivresse de leur rire.

Ô fenestrelles, puits, loggias, vitres
attachés à la vie, à la lueur
des frais plaisirs et des regrets,
ô lune neuve sur ma mémoire,
revenez comme l'aube avec ce chant
de mots perdus, avec ces sons
déchirants, ces baisers mordus dans le noir.
Soyez la pulpe rouge de la pastèque
fendue au milieu de la nappe blanche.


 (Traduction : Bernard Simeone)






Grazie a Teresa (Site Flickr) per le sue bellissime fotografie di Salerno



Είμαστε όλοι Ελληνες

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 Che fece... il gran rifiuto

Σε μερικούς ανθρώπους έρχεται μια μέρα
που πρέπει το μεγάλο Ναι ή το μεγάλο το Όχι
να πούνε. Φανερώνεται αμέσως όποιος τόχει
έτοιμο μέσα του το Ναι, και λέγοντάς το πέρα

πηγαίνει στην τιμή και στην πεποίθησί του.
Ο αρνηθείς δεν μετανοιώνει. Aν ρωτιούνταν πάλι,
όχι θα ξαναέλεγε. Κι όμως τον καταβάλλει
εκείνο τ’ όχι — το σωστό —  εις όλην την ζωή του. 



 Che fece... il gran rifiuto (1)

Pour certains hommes, il vient un jour où il faut dire le grand OUI ou le grand NON. Celui qui l'a prêt en soi, ce OUI, se manifeste tout de suite ; en le disant, il progresse dans l'estime d'autrui et selon ses propres lois.

Celui qui a refusé ne regrette rien : si on l'interrogeait de nouveau, il répèterait NON — et cependant ce NON, ce juste NON, l'accable pendant toute sa vie.

Constantin Cavafis  (Traduction : Marguerite Yourcenar)

(1) :  le titre de ce poème de Cavafis vient du troisième chant de l'Enfer de Dante (vers 60), où il est question de Célestin V, le pape qui "fit le grand refus", c'est-à-dire qui renonça à la tiare pontificale. On remarquera que Cavafis omet volontairement la partie centrale du vers ("che fece per viltade il gran rifiuto", "qui fit par lâcheté le grand refus"), dont la reprise aurait considérablement altéré la signification profonde du poème.



Che fece... il gran rifiuto 

Arriva per taluni un giorno, un'ora
in cui devono dire il grande Sì
o il grande No. Subito appare chi
ha pronto il Sì : lo dice, e sale ancora

nella propria certezza e nella stima.
Chi negò non si pente. Ancora No,
se richiesto, direbbe. Eppure il No,
il giusto No, per sempre lo rovina.

Traduzione : Filippo Maria Pontani






Images : en haut, Carron Brown  (Site Flickr)

La canzone del sole (La chanson du soleil)

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À bientôt !





Si l'on réunit quelques Italiens un soir d'été autour d'un feu de camp, de préférence sur une plage, il ne faudra pas attendre bien longtemps avant qu'ils entonnent La canzone del sole, composée en 1971 par Lucio Battisti, sur un texte de Mogol. Vous pouvez vous entraîner à la fredonner en suivant les paroles reprises dans la vidéo :







Images : en haut, Elisa Moretti  (Site Flickr)

en bas, Site Flickr
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