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Giovanni

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a Giovanni Comisso

Giovanni dalle tue ceneri inquiete e felici
forse ancor oggi godi del gusto salmastro del mare
non so sul tuo corpo se lieve è il peso della terra
la cieca buia terra
crudele agli uomini
ma tu ricordi
e ricorderai !
la riva degli Schiavoni
e calle Vallaresso
dove ragazzi dal volto scolpito
con noi ridevano allegri

Mario Stefani   Poesie a un ragazzo (1974)







Giovanni, depuis ta tombe inquiète et heureuse
peut-être aujourd'hui encore t'enivres-tu du goût salé de la mer
je ne sais pas si sur ton corps le poids de la terre est léger
la terre aveugle et noire
cruelle pour les hommes
mais tu te rappelles
et tu te rappelleras !
la riva degli Schiavoni
et calle Vallaresso
où des garçons aux traits sculptés
avec nous riaient joyeux

(Traduction personnelle) 








Images : au centre, Angelo Greco  (Site Flickr)

en bas, Nicola Lissandrini  (Site Flickr)





Une chanson (Una canzone)

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Françoise Hardy chante Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin (Paroles et musique : Françoise Hardy, 1970) :




Tu ressembles à tous ce qui ont eu du chagrin 
mais le chagrin des autres ne m'intéresse point 
parce que les yeux des autres sont moins bleus que les tiens.

Et comme tous les gens qui ont eu du chagrin 
ton visage souvent a l'air dur et lointain 
mais le visage des autres est moins beau que le tien.

À cause d'un regard, à cause d'un chagrin  
je voudrais dire "je t'aime" et je voudrais dire "viens" 
mais ce n'est pas possible d'être sûre du bien 
ni du mal qu'on va faire, alors je ne dis rien.

J'aurais peur moi aussi de te faire du chagrin 
et pourtant aujourd'hui c'est à toi que je tiens 
et pourtant toi aussi peux me faire du chagrin 
parce que les yeux des autres sont moins bleus que les tiens.






Tu mi ricordi quelli che hanno avuto un dispiacere,
ma i dispiaceri degli altri non mi interessano per niente
perché gli occhi degli altri non sono azzurri come i tuoi.

E come tutti quelli che hanno avuto un dispiacere
il tuo viso spesso sembra cupo e distante 
ma il viso degli altri non è bello come il tuo...








Images : en haut et au centre, Helmut Guth (1)Le Regard  (2)Vers Cully

en bas,Emilien Sallustio  Autoportrait  (détail)   Site Flickr

Verrà... (Elle viendra...)

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Verrà la morte e avrà i tuoi occhi —
questa morte che ci accompagna 
dal mattino alla sera, insonne, 
sorda, come un vecchio rimorso 
o un vizio assurdo. I tuoi occhi 
saranno una vana parola, 
un grido taciuto, un silenzio. 
Così li vedi ogni mattina 
quando su te sola ti pieghi 
nello specchio. O cara speranza, 
quel giorno sapremo anche noi 
che sei la vita e sei il nulla 

Per tutti la morte ha uno sguardo. 
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi. 
Sarà come smettere un vizio, 
come vedere nello specchio 
riemergere un viso morto, 
come ascoltare un labbro chiuso. 
Scenderemo nel gorgo muti.

22 marzo 1950 





La mort viendra et elle aura tes yeux —
cette mort qui nous accompagne
du matin jusqu'au soir, insomniaque,
sourde, comme un ancien remords
ou un vice absurde. Tes yeux 
seront une parole vaine,
un cri étouffé, un silence.
C'est ainsi que tu les vois tous les matins
dans le miroir, quand sur toi seule 
tu te penches. Ô chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

Pour tous, la mort à un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme se libérer d'un vice,
comme voir dans le miroir
resurgir un visage mort,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.

22 mars 1950

(Traduction personnelle) 







« Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. Tout est bien comme ça ? Ne faites pas trop de commérages »





Images : (1), (2) et (5) : Giusi  (Site Flickr

(3) Corrado Nuccini  (Site Flickr

En noir et blanc (In bianco e nero)

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Franco Interlenghi est mort le dix septembre, à l'âge de 83 ans. Les passionnés du cinéma italien se souviennent bien sûr de son premier rôle, à quinze ans : dans le Sciuscià de Vittorio De Sica, il est Pasquale, l'un des jeunes cireurs de chaussures qui tentent de survivre dans la Rome de l’immédiat après-guerre (le film date de 1946, et le tournage est contemporain des événements que le film relate, comme c'était la règle à l'époque du néo-réalisme). L'acteur a souvent raconté les circonstances qui l'ont conduit à faire du cinéma : « C'était en juillet 1945, j'habitais à Rome, dans la via Palestro. Je jouais avec mes amis devant une villa anglaise qui plus tard, en 1948, fut détruite dans un attentat terroriste. Nous avions des jeux simples ; à l'époque, nous n'avions pas beaucoup de moyens à notre disposition : on s'amusait à se lancer un bout de bois. Dans mon immeuble habitait un homme qui travaillait dans le cinéma, c'était un homme âgé plutôt quelconque ; il se mit à la fenêtre de son appartement, sans doute agacé par nos cris, et nous dit : mais qu'est-ce que vous fichez ici ? Allez à via Po, il y a Vittorio De Sica qui cherche de jeunes garçons pour tourner un film. On y est allés, et il y avait une queue qui arrivait jusqu'à piazza Fiume. À l'époque, tout le monde avait faim, et le cinéma représentait une possibilité pour sortir de la misère ; tout le monde tentait sa chance, ne serait-ce que pour un rôle de figurant. J'arrivai finalement devant De Sica et il me demanda si je savais me battre. Je lui répondis que non. Il appela donc le suivant, et je fus très déçu. Je me remis dans la file, et me retrouvai de nouveau devant lui. Il me reposa la même question, et cette fois-ci, je répondis que j'avais l'habitude de me battreà coups de poings avec mon frère, avec mes amis, et même que je fréquentais une salle de boxe... De Sica demanda à ses assistants de prendre mes coordonnées, et c'est comme ça que tout a commencé ! »



Avec Rinaldo Smordoni, dans Sciuscià (1946)


Pour la plupart, ces jeunes gens choisis dans la rue ne feront pas carrière dans le cinéma et resteront les protagonistes d'un seul film (un peu comme les "modèles" bressoniens) ; il n'en ira pas de même pour Interlenghi qui enchaînera les films à la fin des années quarante et pendant toutes les années cinquante, avec les cinéastes les plus brillants de l'époque : en 1949, il tourne avec Blasetti (Fabiola) et l'année suivante, Luciano Emmer lui offre l'un de ses plus beaux rôles, dans un film peu connu en France, hélas, Domenica d'agosto (Dimanche d'août, un titre qui a pour nous des résonances modianesques). Comme son titre l'indique, le film est fidèle à l'unité de temps, puisqu'il raconte la journée du 7 août dans la Rome de l'après-guerre, où l'on va suivre les pérégrinations de plusieurs personnages qui se retrouvent tous à la plage  d'Ostie (le film est aussi connu parce qu'il offre un premier vrai rôle à Marcello Mastroianni, qui n'avait été jusque là que figurant). 



Avec Antonella Lualdi, dans Gli Innamorati (1955)


Interlenghi tournera aussi avec Luigi Zampa (Processo alla città), Mario Soldati (La Provinciale), Antonioni (I Vinti), Rossellini (Il Generale della Rovere et Viva l'Italia), et surtout Bolognini qui lui donne trois rôles marquants : dans Gli innamorati (Les Amoureux, titre prédestiné puisqu'il y joue avec Antonella Lualdi, qui deviendra son épouse pour soixante ans de vie commune !), Giovani Mariti (Jeunes maris) et La Notte brava (Les Garçons), ces deux derniers titres sur des scénarios de Pasolini). C'est dans ces mêmes années qu'il tourne avec Fellini I Vitelloni (en 1953) ; il interprète le rôle de Moraldo, sans doute le plus mémorable de sa carrière avec le Pasquale de Sciuscià. On remarquera qu'il n'a jamais tourné avec Visconti, mais que ce dernier l'a dirigé trois fois au théâtre, en particulier dans Mort d'un commis-voyageur, d'Arthur Miller (1949).



Avec Brigitte Bardot, dans En cas de malheur (1958)


Dans ces années glorieuses, la carrière de Franco Interlenghi a été aussi internationale, puisqu'on le retrouve notamment dans La comtesse aux pieds nus de Mankiewicz (1954), L'Adieu aux armes de Charles Vidor (1957), En cas de malheur (en italien La Ragazza del peccato), de Claude Autant-Lara, au côté de Brigitte Bardot (1958). Il faut malheureusement reconnaître que son étoile n'a plus été aussi brillante après ces miraculeuses années, mais il n'a jamais cessé de tourner (au cinéma et surtout à la télévision) ni de jouer au théâtre. Il a conservé en Italie une grande popularité, d'autant plus que c'était aussi dans la vie un homme très sympathique ; et tant qu'il y aura des amoureux du grand cinéma italien, ils se souviendront en pensant à lui combien les dimanches d'août étaient beaux, en noir et blanc...






Hôtel-Dieu

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Guy Béart a écrit Hôtel-Dieu en 1968, au moment de la mort de sa mère. Ce n'est pas sa chanson la plus célèbre, mais je l'aime beaucoup :









Images : en haut, Site Flickr

en bas, Dominique Beyly  (Site Flickr)

Comme un départ (Come una partenza)

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Chant d'automne


Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ; 
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! 
J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres 
Le bois retentissant sur le pavé des cours. 

Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère, 
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé, 
Et, comme le soleil dans son enfer polaire, 
Mon cœur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé. 

J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ; 
L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd. 
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe 
Sous les coups du bélier infatigable et lourd. 

Il me semble, bercé par ce choc monotone, 
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part. 
Pour qui ? — C'était hier l'été ; voici l'automne ! 
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. 

Charles Baudelaire  Les Fleurs du mal



 


Canto d'autunno

I

Ecco, affondiamo nelle fredde tenebre.
Addio, bagliori delle brevi estati.
Sento che cade con dei tonfi funebri
la legna dei cortili, sui selciati.

L'inverno tutto mi penetra : orrore,
odio, brividi, lavoro forzato.
Come il sole nel suo inferno polare
un blocco rosso è nel mio cuore, ghiacciato.

Fremendo ascolto il ciocco che ora piomba :
ha l'eco del martello sulla forca.
l'anima mia è torre che soccombe
colpita dall'ariete che la forza.

A sentire inesistenti i colpi ancora
par che s'inchiodi una bara d'urgenza.
Per chi ? Ieri era estate, è l'autunno ora.
C'è un suono oscuro, come di partenza.

Traduzione : Antonio Prete






Images : en haut, Umberto Battista  (Site Flickr)

au centre,Laura Mangione  (Site Flickr)


en bas, Ugo Baldassarre  (Site Flickr)



Impressioni di settembre (Impressions de septembre)

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La Premiata Forneria Marconi (PFM) canta Impressioni di settembre (Impressions de septembre) (Mogol e Mauro Pagani – Franco Mussida, 1971) :





Quante gocce di rugiada intorno a me
cerco il sole, ma non c'è.
Dorme ancora la campagna, forse no,
è sveglia, mi guarda, non so.
Già l'odor di terra, odor di grano
sale adagio verso me,
e la vita nel mio petto batte piano,
respiro la nebbia, penso a te.
Quanto verde tutto intorno, e ancor più in là
sembra quasi un mare d'erba,
e leggero il mio pensiero vola e va
ho quasi paura che si perda...

Un cavallo tende il collo verso il prato
resta fermo come me.
Faccio un passo, lui mi vede, è già fuggito
respiro la nebbia, penso a te.
No, cosa sono adesso non lo so,
sono un uomo, un uomo in cerca di se stesso.
No, cosa sono adesso non lo so,
sono solo, solo il suono del mio passo.
E intanto il sole tra la nebbia filtra già
il giorno come sempre sarà.






Toutes ces gouttes de rosée autour de moi
je cherche le soleil, mais il n'est pas là.
La campagne dort encore, ou peut-être pas,
elle s'est réveillée et me regarde, je ne sais pas.
Déjà l'odeur de la terre, odeur de blé,
monte lentement vers moi,
et la vie bat doucement dans ma poitrine,
je respire la brume, je pense à toi.
Tant de vert tout autour, et encore plus loin
l'herbe est comme une mer,
et mes pensées légères s'envolent et s'en vont
j'ai presque peur qu'elles se perdent...

Un cheval se retourne vers le pré
il reste immobile comme moi.
J'avance d'un pas, il me voit, il s'est enfui déjà,
je respire la brume, je pense à toi.
Non, je ne sais pas ce que je suis en cet instant,
je suis un homme, un homme à la recherche de lui-même.
Non, je ne sais pas ce que je suis en cet instant,
je suis seul, il n'y a que le bruit de mes pas.
Et dans la brume le soleil perce déjà
cette fois encore le jour se lèvera.

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Manuela (grazie per questa meravigliosa foto)  (Site Flickr)

au centre, Site Flickr

Kristel van Loock  (Site Flickr)

Le Consentement à l'amour (ou Serenata in vano)

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Que les yeux ne voient rien de ce que l’esprit ne peut nommer : en ce sens, et surtout dans le domaine de l’art, il n’existe pas de pure perception rétinienne, non plus d’ailleurs qu’auriculaire. L’image et le son n’ont pas de réalité s’ils ne sont immédiatement un concept, quand bien même celui-ci serait-ilun peu flou, pauvre, erroné, temporaire ; s’ils ne rencontrent un langage, soit-il inadéquat, une convoitise ou bien une aversion. Il n’y a pas de jouissance esthétique de bonne qualité qui ne s’appuie sur de la connaissance, et sur du désir. La simple disponibilité ne suffit pas ; encore la faut-il consciente, active, ou pour le moins qu’elle repose sur des désirs anciens, sur une attente qu’on pouvait croire apaisée, peut-être, mais qui demeurait insatisfaite ; sur un savoir en suspens. 




Vous marchez dans une ville avec quelqu’un qui ne s’intéresse pas du tout à l’architecture, par exemple, à l’histoire, à l’archéologie. Or, que cette personne ne trouve rien de particulièrement intéressant aux monuments pourtant les plus remarquables, ce n’est pas assez dire : elle ne les voit pas, elle ne les distingue en rien de ceux qui les entourent, les rues sont pour elles un à-plat que les vitrines seules, éventuellement, ou les autres passants, parviennent à diversifier quelque peu. A cent reprises m’a-t-il été donné d’observer, pour ma part, des gens qui traversaient pour la première fois de leur vie la place du Panthéon, à Rome, en route vers les cafés de la place Navone ou les restaurants du corso Vittorio-Emmanuele, et qui n’y auraient rien remarqué qui pour eux sortît si peu que ce soit de l’ordinaire, qui n’auraient jamais songé à ralentir le pas, qui n’auraient jamais envisagé de s’interrompre au milieu d’une phrase si, peiné pour eux, peiné pour le Panthéon, peiné pour moi, je ne saurais dire, je ne leur avais doucement touché le coude, et désigné du menton le portique et sa porte de bronze. 




La beauté, dans l’art, à moins qu’elle ne s’accompagne de caractères emphatiques qui ne lui sont pas spécifiques, l’énormité, l’immensité, la somptuosité, la bizarrerie, l’éclat, la beauté ne peut pas s’imposer par elle-même, indépendamment de la moindre notion de son registre, chez qui la rencontre, et de toute appétence. Nous sommes bien loin du temps, d’ailleurs peut-être mythique, de toute manière, où tel bouvier de l’Attique, arrivant dans Athènes, poussant ses bêtes, pouvait s’émerveiller entre toutes des statues de Phidias, sans que personne ait dû lui signaler leur splendeur, leur éloquence ou leur gloire. Qui ne sait rien de la peinture, il regarde trente secondesLes Noces de Cana ou La Mort de Sardanapale, et croit en avoir tout vu. Et de fait, regarderait-il plus longtemps, il n’apercevrait rien de plus. Moins on a de lumières dans un art ou dans un autre, plus rapidement on croit avoir fait le tour de ce que les œuvres ont à offrir. 




Il faut être un visiteur prodigieusement éclairé, familier d’autre part des villes voisines et comparables, pour se risquer à visiter une cité nouvelle, inconnue, sans le secours d’un bon guide et d’informations sûres. Tout intime qu’on puisse être de Lucques, de Florence, de Pise et de Pistoie, de San Gimignano, de Sienne ou de Massa Marittima, nous ne saurions douter que se déroberont à nous beaucoup des plus précieuses séductions de Volterra, si quelque expert, livre ou compagnon, ne nous pilote entre ses murailles. On trouvera mal choisi cet exemple, et ne s’appliquer guère aux tableaux, aux statues, aux symphonies, aux poèmes et aux romans, qui paraissent s’offrir tout entiers à l’investigation vigilante, sans escaliers dérobés, sans ruelles pentues qui feintent les barbacanes pour vous conduire en trois épingles à cheveux vers des campagnes semées d’insoupçonnables ruines antiques, sans merveilles derrière des porches clos, dont la clef ne s’obtient qu’auprès de la gouvernante de l’archiprêtre... Et pourtant, même s’agissant de l’art qui semble le plus candidement offert, et le mieux adhérer à l’apparente simplicité de sa surface, encore faut-il savoir quelles questions se poser, lui poser, quelles curiosités chercher à satisfaire, quelles prouesses admirer, quelles jouissances débusquer. 




Beaucoup de l’art contemporain, surtout plastique, exaspère jusqu’à la caricature cette impopulaire constatation, et, minimal en effet, paraît ne proposer plus que des occasions d’exégèse et des motifs à tours de force critiques, d’autant plus admirables chacun que leur prétexte visuel est plus aisément descriptible, plus immédiatement cernable. Et sans doute y a-t-il eu de ce côté-là, d’évidence, force méchants canulars et trop patents abus ; mais le principe inspirateur d’un tel mouvement n’était pas faux, ni ses leçons sans portée, qui tendaient toutes à multiplier l’attention, à l’intensifier toujours, à l’informer sans cesse, même et d’abord à propos de ce qui paraissait la mériter le moins.

Renaud Camus  Esthétique de la solitude, Éditions P.O.L, 1990








Images : (2) Mike Cotter  (Site Flickr)

(3) Phillip Wong  (Site Flickr

(4) Delacroix  La Mort de Sardanapale (détail) Site Flickr

(5) Michael Colburn  (Site Flickr

(6) Cy TwomblyUntitled 1970  Site Flickr





François et les rats d'Assise

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À l'occasion de la fête de saint François, voici ma traduction d'un bel apologue de Dacia Maraini, lu en juin dernier dans le cadre de La Milanesiana, un festival organisé par Elisabetta Sgarbi, et publié quelques jours plus tard dans le Corriere della sera

Il y a un tableau qui représente un saint François encore jeune mais déjà éprouvé par la maladie qui, les yeux mi-clos, assis sur un rocher dans le petit jardin de San Damiano, semble perdu dans ses pensées. La légende raconte que c’est justement à cet endroit-là, un matin de l’année 1224, après une nuit de grandes souffrances physiques passée dans une cellule curieusement "envahie par les rats", que François a écrit les vers de l’un des plus beaux poèmes de la littérature italienne. 

François, épuisé par la fièvre et par les douleurs dont il est perclus, est étendu sur son lit dans la petite cellule nue. Soudain, il perçoit un léger bruissement qui monte du sol. Il tourne la tête et voit des petits animaux noirs et silencieux qui sortent par dizaines d’un trou dans le mur et envahissent le sol. Personne n’ignore qu’il y a des rats dans le couvent, mais est-il possible qu’ils se soient tous donnés rendez-vous dans sa cellule ? Quand il les découvre, noirs et velus, accroupis sur le sol, indifférents à sa présence, François a un mouvement de dégoût. Non seulement, ils ne se préoccupent pas de lui, mais ils semblent tellement absorbés dans leurs activités qu’ils poussent de petits cris, se heurtent, sautillent, soulevant et abaissant leurs petites queues noires sans se préoccuper le moins du monde de son corps accablé par la douleur, allongé sur le grabat. François ferme les yeux, murmure une prière entre ses lèvres et rouvre les yeux en espérant que tout cela ne soit qu’un rêve. Mais non, les rats sont toujours là, et ils se sont même entre temps multipliés. Le sol est couvert de petits animaux laineux qui semblent s’être réunis pour une assemblée. François tressaille. « Et s’ils montent sur le lit et m’attaquent ? » s’interroge-t-il épouvanté. Mais il s’agit certainement d’un délire provoqué par la fièvre. Il se dit qu’il a des visions, que tout cela est le fruit de son imagination. Et pour se rassurer, il se pince le bras. Mais il doit admettre que non, il n’est pas en train de rêver ou de délirer. Les rats sont bien là et ils continuent à entrer depuis un trou qui se trouve au fond de la cellule. Plus qu’un trou, c’est une fissure à peine visible qui s’ouvre entre le sol et le mur. Ils entrent par deux ou par trois et vont rejoindre les autres. Mais que voulez-vous de moi ? hurle François, épouvanté, tandis que la vision de ce spectacle accentue les douleurs qui lui traversent le corps.




Mais ensuite, sa nature douce et contemplative reprend le dessus. Il se soulève sur le côté, et appuyé sur un coude pour soutenir sa tête douloureuse, il se met à les observer avec attention. Eux aussi sont des créatures de Dieu, se dit-il. Et tout doucement, en les observant attentivement, il comprend que ces petits animaux sont organisés en familles : un père replet et une mère un peu plus menue, s’aidant de leurs dents et de leurs queues, traînent après eux les petits qui viennent de naître : de petits rats gris avec une queue rose. Mais pourquoi sont-ils venus dans sa cellule ? Les lèvres gracieuses s’ouvrent sur un tendre sourire : ces petites bêtes ont peut-être entendu parler de lui, de son affection pour les animaux. Ne dit-on pas qu’il s’est longuement entretenu avec un loup ? Qu’il a prêché pour les oiseaux sur les branches ? Par conséquent, sa cellule n’est-elle pas le lieu le plus sûr pour y tenir une grande réunion familiale ? On le sait, les rats se reproduisent rapidement et chaque nouveau-né se retrouve entouré d’au moins trois-cents cousins et trois-cents cousines. Et puis, il y a aussi les oncles, les grands-pères, les tantes, les grands-mères. Et tout cela fait beaucoup de créatures. 

Mais pourquoi se sont-ils réunis aujourd’hui ? Pour festoyer ou pour piller ? François les observe avec une attention passionnée et il s’aperçoit qu’ils ont petit à petit formé un cercle au milieu duquel ils ont posé un paquet de la grosseur d’une pomme. Quand tous les rats sont assis, l’un deux va soulever avec les dents et les petites pattes le chiffon qui enveloppe le paquet. Les autres rats suivent attentivement ces gestes rapides et efficaces. Finalement, le chiffon tombe à terre et au milieu du cercle apparaît un gros morceau de fromage à peine taché par la moisissure qui lui donne sur les côtés une couleur entre le bleu et le rose évoquant une aube printanière. Quelle merveille, ce fromage ! Obéissant à l’ordre de celui qui semble être le chef, la première rangée de rats s’approche du mets et avec leurs dents acérés en découpe une part. Les autres observent et surveillent dans un silence absolu. Même les plus petits restent là immobiles et muets, les yeux fascinés fixés sur l’appétissant morceau de fromage. Dès que le premier cercle a terminé, il regagne sa place en s’écartant un peu et c’est au tour du deuxième cercle, qui s’approche à son tour, en ordre, pour ronger la part qui lui revient. Et ainsi de suite, jusqu’au cinquième, au sixième cercle. Sans qu’aucun des rats, les grands comme les petits, ne cherche à s’imposer pour emporter une plus grande part que celle qui lui revient. Enfin, quand tous ont achevé de ronger et de mâcher, les voilà qui se dirigent en ordre vers l’ouverture dans le mur et patiemment, sans aucune bousculade, disparaissent de l’autre côté de la paroi, en se faisant tout petits pour passer à travers la fissure.




Un seul rat est demeuré dans la chambre, et maintenant il s’approche délicatement du lit du malade, tel un vieux sage. Il soulève sa petite tête où de longues moustaches tremblent légèrement sur son museau humide et il se tourne vers le saint en lui jetant un regard attentif. Il le regarde exactement de la même façon que l’avait fait le loup : avec amitié et gratitude. Les mots sont superflus. Ces yeux petits et écarquillés, étincelants de joie de vivre, lui disent que la nature est belle, que le soleil est un frère, comme sont des sœurs la lune et les étoiles, que l’eau et le feu sont les amis de l’homme, mais aussi ceux des rats. Puis, après avoir esquissé une légère et gracieuse révérence, comme pour lui dire « excusez nous pour le dérangement, nous ne sommes pas obsédés par la nourriture, nous avons seulement faim », le rat disparaît à son tour de l’autre côté du mur. Par terre, il n’est rien resté, même pas une miette de nourriture. Même le chiffon qui enveloppait le fromage a disparu. Dans l’air, il ne subsiste qu’une légère odeur musquée. François sourit et sent que les douleurs ont mystérieusement abandonné son corps fiévreux. Il quitte donc son lit et sort dans le petit jardin de San Damiano, où, assis sur une pierre au soleil tiède du nouveau printemps, il se met à écrire ces mots clairs et délicats, beaux et frais, qui aujourd’hui encore nous communiquent un sentiment de fraternité avec la nature. Faut-il en remercier les rats d’Assise ? 

Dacia Maraini  Francesco e i topi di Assisi  (texte lu le 27 juin dans le cadre de La Milanesiana, un festival conçu et dirigé par Elisabetta Sgarbi. Le texte a été publié dans le Corriere della sera du 29 juin)  (Traduction personnelle)

On peut lire ici le texte original de Dacia Maraini. (Si può leggere qui il testo originale di Dacia Maraini)










Très haut tout-puissant, bon Seigneur, 
à toi sont les louanges, la gloire 
et l’honneur et toute bénédiction. 
À toi seul, Très-haut, ils conviennent 
Et nul homme n’est digne de te mentionner. 

Loué sois-tu, mon Seigneur, 
avec toutes tes créatures, spécialement, monsieur frère Soleil, 
lequel est le jour et par lui tu nous illumines. 
Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur, 
de toi, Très-Haut, il porte la signification. 

Loué sois-tu, mon Seigneur, 
par sœur Lune et les étoiles, 
dans le ciel tu les as formées claires, 
précieuses et belles. 

Loué sois-tu, mon Seigneur, 
par frère Vent 
et par l’air et le nuage 
et le ciel serein et tout temps, 
par lesquels à tes créatures tu donnes soutien. 

 Loué sois-tu, mon Seigneur, 
par sœur Eau, laquelle est très utile 
et humble et précieuse et chaste. 

Loué sois-tu, mon Seigneur, 
par frère feu par lequel 
tu illumines dans la nuit, et il est beau 
et joyeux et robuste et fort. 

Loué sois-tu, mon Seigneur, 
par sœur notre mère Terre, 
laquelle nous soutient et nous gouverne 
et produit divers fruits 
avec les fleurs colorées et l’herbe. 

Loué sois-tu, mon Seigneur, 
par ceux qui pardonnent pour ton amour 
et supportent maladies et tribulations. 
 Heureux ceux qui les supporteront en paix, 
car par toi, Très-Haut, 
ils seront couronnés. 

 Loué sois-tu, mon Seigneur, 
par sœur notre mort corporelle, 
à laquelle nul homme vivant ne peut échapper. 
Malheur à ceux qui mourront dans les péchés mortels. 
Heureux ceux qu’elle trouvera 
dans tes très saintes volontés, 
car la seconde mort ne leur fera pas mal. 

 Louez et bénissez mon Seigneur, 
et rendez-lui grâce et servez-le 
avec grande humilité.



Images : en haut, Rainer Michael Hawlicek  (Site Flickr)

au centre, (1) Bestiaby  (Site Flickr)

(2) Valerio Seveso  (Site Flickr)

en bas, Valerio Seveso  (Site Flickr)

Maraviglioso Boccaccio (Contes italiens)

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Maraviglioso Boccaccio (titre français : Contes italiens) est le dernier film en date des frères Taviani (aujourd'hui l'un et l'autre largement octogénaires) ; il s'agit d'une adaptation de cinq nouvelles du Décameron, autour d'un dispositif narratif fidèle au livre de Boccace : un groupe de jeunes gens fuient la peste qui dévaste Florence au quatorzième siècle et s'installent dans une ferme de la campagne toscane, lieu idyllique et éloigné de l'horreur de l'épidémie, où ils vont quotidiennement, le temps de dix journées, raconter à tour de rôle des histoires. 






Il sera question d'amours qui connurent des fins malheureuses (l'épisode de Ghismunda et Guiscardo, dans la quatrième journée), du bonheur chèrement conquis après de douloureuses épreuves (l'épisode de Federigo degli Alberighi, dans la cinquième journée), des tours que les hommes l'un à l'autre se jouent (l'épisode de Calandrino, dans la huitième journée, avec un épatant Kim Rossi-Stuart), d'histoires truculentes et cocasses (l'épisode de la mère supérieure et de la culotte du prêtre, dans la neuvième journée), de gestes d'amour magnifiques et extraordinaires (l'épisode de Messire Gentil de' Carisendi et de Monna Catalina, dans la dixième journée).






Le film n'atteint évidemment pas les sommets de Kaos, un autre film à épisodes des Taviani, d'après les nouvelles de Pirandello, mais il est quand même plaisant et fort agréable à regarder. Ce qui emporte ici le spectateur, c'est surtout l'impression d'assister à l'une des dernières manifestations d'un art du cinéma qui s'est perdu : beauté fulgurante des cadres et des images, avec des costumes, des visages et des paysages magnifiés que l'on croirait sortis d'une fresque de Masaccio, de Masolino ou de Filippino Lippi, saveur d'un parler toscan corsé et vigoureux, merveilleuse harmonie des mouvements de caméra et des musiques admirablement choisies. 








Les Taviani sont ici les derniers représentants de ce grand cinéma de poésie que Pasolini appelait de ses vœux, et on pense évidemment souvent à lui en voyant le film, même si la vision de l’œuvre de Boccace que nous proposent les deux frères est fort éloignée de la Naples grouillante, paillarde et subversive du Décameron, le premier film de la Trilogie de la vie pasolinienne. On remarque tout de même un clin d’œil à ce dernier dans l'épisode de la Mère supérieure dérangée en pleine nuit qui, contrainte de sortir précipitamment, confond son voile et les culottes de son amant, dont elle se coiffe prestement !




A la fin du film, le phalanstère improvisé se défait ; les réfugiés de ces dix journées se séparent et se disent adieu sous une pluie battante. Mais le spectateur ne peut pas s'empêcher de penser que ce qui a lieu sous ses yeux  est sans doute aussi un adieu à ce grand cinéma italien nourri de culture et de profonde poésie que les Taviani ont si souvent illustré dans leur longue et féconde carrière.




Images : Maraviglioso Boccaccio, de Paolo et Vittorio Taviani (captures d'écran)

Il gatto in un appartamento vuoto (Le chat dans un appartement vide)

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C'est en italien que j'ai découverts et aimés les poèmes de Wisława Szymborska, fort peu traduite en français alors que l'on trouve en Italie un volume bilingue (polonais-italien) contenant tout son œuvre poétique de 1945 à 2009, paru chez Adelphi sous le titre La gioia di scrivere (La joie d'écrire). De façon plutôt inattendue, même si Szymborska a reçu le Prix Nobel de littérature en 1996, l'ouvrage a connu un très grand succès et en est à sa neuvième réimpression en trois ans. Je cite ici l'un de ses poèmes que j'aime le plus, dans la traduction italienne de Pietro Marchesani, et en proposant à la suite ma propre traduction en français de cette traduction...


Morire - questo a un gatto non si fa.
Perché cosa può fare il gatto
in un appartamento vuoto ?
Arrampicarsi sulle pareti.
Strofinarsi tra i mobili.
Qui niente sembra cambiato,
eppure tutto è mutato.
Niente sembra spostato,
eppure tutto è fuori posto.
E la sera la lampada non brilla più.

Si sentono passi sulle scale,
ma non sono quelli.
Anche la mano che mette il pesce nel piattino
non è quella di prima.

Qualcosa qui non comincia
alla solita ora.
Qualcosa qui non accade
come dovrebbe.
Qui c'era qualcuno, c'era,
poi d'un tratto è scomparso
e si ostina a non esserci.

In ogni armadio si è guardato.
Sui ripiani si è corso.
Sotto il tappeto si è controllato.
Si è perfino infranto il divieto
di sparpagliare le carte.
Che altro si può fare.
Aspettare e dormire.

Che lui provi solo a tornare,
che si faccia vedere. 
Imparerà allora
che con un gatto così non si fa.
Gli si andrà incontro
come se proprio non se ne avesse voglia,
pian pianino,
su zampe molto offese.
E all'inizio niente salti né squittii.

Wisława Szymborska  La gioia di scrivereAdelphi Edizioni, 2009 (Traduzione : Pietro Marchesani)




Mourir - on ne doit pas faire ça à un chat.
Car que peut faire le chat
dans un appartement vide ?
Grimper aux murs.
Se frotter aux meubles.
Ici, on dirait que rien n'a changé,
et pourtant tout est différent.
On dirait que rien n'a bougé,
et pourtant plus rien n'est à sa place.
Et le soir la lampe n'est plus allumée.

On entend des pas dans les escaliers,
mais ce ne sont plus les mêmes.
Et la main qui dépose le poisson dans l'écuelle
N'est plus celle d'avant.

Ici, plus rien ne commence
à l'heure habituelle.
Plus rien ne se passe
comme prévu.
Ici, il y avait quelqu'un, bien présent,
et tout à coup, il a disparu
et il s'obstine dans son absence.

On a regardé dans toutes les armoires.
On a couru sur toutes les étagères.
On a vérifié sous le tapis.
On a même transgressé l'ordre
de ne pas éparpiller les papiers.
Que peut-on faire d'autre ?
Attendre et dormir.

Qu'il s'avise seulement de revenir,
qu'il se montre.
Il apprendra alors
qu'on ne doit pas se comporter ainsi avec un chat.
On ira à sa rencontre
comme si l'on n'en avait aucune envie,
tout doucement,
sur des pattes très vexées.
Et au début, il n'y aura ni bonds ni petits miaulements.

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Raffaello Pacini  (Site Flickr)

au centre et en bas, Andrea Fini  (Site Flickr)



Wisława Szymborska lit ce poème dans sa version originale polonaise : "Kot w pustym mieszkaniu"

Ombra di nube (Ombre des nuages)

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Jonas Kaufmann chante (merveilleusement) Ombra di nube, de Licinio Refice (sur un poème d'Emidio Mucci). Un air dont on aimerait être accompagné le jour de son enterrement (le plus tard possible, évidemment...) :


Era il ciel un arco azzurro di fulgor ; 
Chiara luce si versava sul mio cuor. 
Ombra di nube, non mi offuscare ; 
Della vita non velarmi la beltà. 

Vola, o nube, vola via da me lontan ; 
Sia disperso questo mio tormento arcan. 
Ancora luce, ancora azzurro ! 
Il sereno io vegga per l'eternità !




Le ciel était un arc fulgurant d'azur ;
Une claire lumière inondait mon cœur.
Ombre des nuages, n'obscurcis pas ma vue ;
Ne me voile pas la beauté de la vie.

Volez, nuages, volez loin de moi ;
Que ma souffrance secrète se dissipe.
Encore de la lumière, encore de l'azur !
Que s'ouvre à moi l'éternité du ciel serein !

(Traduction personnelle) 






Images : en haut, Pasquale Antonazzo  (Site Flickr)

en bas, Elena  (Site Flickr)


La Montagna magica (La Montagne magique)

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Dans L’Italia degli altri [L’Italie des autres], paru en Italie en Italie aux éditions Neri Pozza, Mario Fortunato mêle des souvenirs personnels et l’évocation des nombreux voyageurs qui, depuis le dix-huitième siècle, ont visité l’Italie à l’occasion du fameux Grand Tour (de Goethe, Stendhal et Tocqueville à Henry James, Edith Wharton, Evelyn Waugh ou W.H. Auden). Fortunato s’interroge sur les caractéristiques du "désir d’Italie" qui anime ces artistes (poètes, écrivains, peintres, architectes, musiciens) et sur la façon dont les Italiens ont perçu ce "discours amoureux" enthousiaste mais aussi parfois ambigu, qui a fini par devenir une composante de l’identité italienne. Je cite ici un extrait de l’ouvrage consacré aux mystères du mont Soracte, qui se dresse dans  la campagne romaine, à cinquante kilomètres au nord de la Ville, un paysage souvent décrit (ou peint) par les voyageurs du Grand Tour :

« Le Soracte, que ce soit en janvier ou en mars, se dresse sur la ligne bleuâtre de l’horizon comme une île sur la mer et avec une élégance de contour qu’aucune saison ne peut atténuer ou diminuer. Vous le connaissez bien pour l’avoir vu souvent dans les fonds délicats des tableaux de Claude Lorrain ; et il a un air si irrésistiblement classique et académique qu’en le regardant vous commencez à prendre la selle de votre cheval pour un vieux fauteuil usé dans la galerie d’un palais. » Voilà ce qu’écrit Henry James dans l’une de ses Chevauchées romaines en 1873. 
Edith Wharton, dans ses Paysages italiens, est elle aussi impressionnée par la « sévérité grandiose du paysage » que domine le Soracte. L’écrivain du Temps de l’innocence y voit un « rempart brumeux», comme si cette montagne obstinément isolée sur l’horizon devait délimiter et distinguer le règne du visible de ce qui le précède et l’annule — le mystère de l’invisible.  
Le thème de la "vision" revient souvent dans la littérature consacrée au Soracte. C’est du reste tout à fait compréhensible : sa solitude est frappante, dans la vaste vallée du Tibre. Il a d'ailleurs été au cours des siècles un lieu d’ermitage. Les premières peuplades qui y vécurent à partir de l’âge du bronze — les Sabins, les Capenates, les Falisques et les Etrusques — y célébrèrent des cultes de caractère clairement dionysiaque. L’isolement, l’éloignement par rapport au reste du paysage met tous ceux qui parviennent à la cime de la montagne dans un état de mutisme et de transe : d’ailleurs, le dieu Soranus, descendant direct du dieu Suri des Etrusques, était une divinité infernale, liée au thème de la divination, et donc à la vision du futur. 
Quand Horace en fait le sujet de l’une de ses Odes [I, 9], il évoque le Soracte blanchi par la neige, éloigné et presque prisonnier du gel. C’est la raison pour laquelle il engage à se réchauffer opportunément près de l’âtre, avec un bon verre de vin à la main et en regardant bien en face cette fois-ci non pas ce qui par définition ne peut pas se voir avec les yeux, c'est-à-dire le futur, mais au contraire la simple réalité, cet instant qui constitue la vie même : la jeunesse est une gloire fugace, dit le poète latin, raison pour laquelle il ne faudra pas dédaigner, ici et maintenant, « les douces amours et les danses ».




Mais le Soracte est aussi une montagne liée au mystère pour des raisons plus spécifiquement historiques. En s’inspirant peut-être de ses trois "composants"— les  puits communicants entre eux et d’une profondeur de plus de cent mètres —, en 1937, la direction du Génie militaire de Rome entreprit la construction d’une série de galeries à l’intérieur de la montagne, afin de servir de refuge au Haut Commandement militaire, en cas de guerre. En septembre 43, les mystérieuses galeries devinrent le siège du Commandement des troupes d’occupation allemandes sous les ordres du feld-maréchal Albert Kesselring. Lorsque, en janvier 44, les Allemands se retirèrent, à la suite des bombardements anglo-américains, ils minèrent une grande partie de la zone. Selon la légende, soixante caisses contenant des bijoux et de l’or, confisqués à la communauté juive de Rome et à la Banque d’Italie, auraient été enterrées dans les galeries internes du Soracte. En effet, les troupes allemandes étaient certaines que leur repli vers le nord n’était que momentané, et qu’elles pourraient redescendre sur Rome dans un délai de quelques mois. Il en alla tout autrement, grâce au ciel, et l’on ne sut plus rien des fameuses caisses ; après la guerre, on ne retrouva dans ces galeries creusées dans le calcaire que quelques munitions. Du trésor présumé, aucune trace.

Mario Fortunato  L'Italia degli altri, Neri Pozza Editore, 2013 (Traduction personnelle)










Images, de haut en bas :

(1) Sara  (Site Flickr)

(2) Paolo Fefe'  (Site Flickr)

(3) Felice Dappio  (Site Flickr)

(4)Site Flickr

(5) Massimo d'Azeglio  Il Monte Soratte, 1821, huile sur toile




A Pa'

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C'était il y a quarante ans, dans la nuit du premier au deux novembre 1975, sur la plage d'Ostie, près de Rome...





Francesco De Gregori chante A Pa'(1985). Il est également l'auteur des paroles et de la musique de cette chanson :


 
 
 
Non mi ricordo se c'era luna,
e nè che occhi aveva il ragazzo,
ma mi ricordo quel sapore in gola
e l'odore del mare come uno schiaffo.
A Pà.

E c'era Roma così lontana,
e c'era Roma così vicina,
e c'era quella luce che ti chiama,
come una stella mattutina. A Pà.
A Pà. Tutto passa, il resto va.

E voglio vivere come i gigli nei campi,
come gli uccelli del cielo campare,
e voglio vivere come i gigli dei campi,
e sopra i gigli dei campi volare.


Je ne me rappelle pas s'il y avait la lune,

et j'ai oublié les yeux du garçon,

mais je me souviens de ce goût dans la bouche

et de l'odeur de la mer comme une gifle.


Et Rome était si lointaine
,
et Rome était si proche,

et il y avait cette lumière qui t'appelle,
comme une étoile du matin.


Je veux vivre comme les lys dans les champs,

comme les oiseaux dans le ciel,

je veux vivre comme les lys des champs,
et au-dessus des lys des champs voler.

(Traduction personnelle)
 
 
Sur le même sujet : Deposizione

Una sera di novembre
 
 
 
 

 



 
 
 
Images : Mamma Roma, Pier Paolo Pasolini
 
tout en bas, Ernest Pignon-Ernest, PASOLINI. 40 ans après son assassinat. Collage à Rome, Ostia, Naples, Matera, Mai/Juin 2015 (Source)
 



Témoignage de la femme qui a été la première à découvrir le corps de Pasolini au matin du deux novembre : « C'était à six heures et demie, je sortais de ma voiture et je me suis dit : "C'est incroyable, ils jettent vraiment leurs ordures n'importe où !" Je me suis approchée un peu plus près et là, j'ai compris que ce n'était pas des ordures, mais un cadavre...»


Dal Loggione (Du Paradis)

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Lampi... fuori nel buio temporale
Lampi, qui nel Teatro Comunale
Lampi, sulle signore ingioiellate
Lampi, su legni e trombe lucidate...

Io, che sono qui per rivederti,
io, che sono qui per ritrovarti,
io, che sono qui per adorarti,
io, che non so un tubo di concerti...

Viva la musica che ti va
fin dentro all'anima che ti va...
penso di credere che finirò
sempre di vivere di te
parapunzipunzipunzipum, parapunzipunzipunzipum ...

Su, su dal loggione io ti osservo
bella, che tuo marito ne è superbo...
forse, forse tu vuoi che io ci sia
e aspetti di avere un lampo di follia...

Ma già le luci sfumano nell'ombra
ecco, ti sei voltata, o almeno sembra...
ma ora, il buio cala e non rimane
altro che l'incantesimo sublime...

E allora ... viva la musica che ti va
fin dentro all'anima che ti va...
penso di credere che finirò
sempre di vivere di te...

Testo e musica : Paolo Conte




Des éclairs... dehors dans l'orage nocturne
Des éclats, ici dans le Théâtral Communal
Des éclats, sur les dames embijoutées
Des éclats, sur les bois et les cuivres astiqués...

Et moi qui suis là pour te revoir
moi, qui suis là pour te retrouver
moi, qui suis là pour t'adorer
moi, qui ne comprend rien aux concerts...

Vive la musique qui va
jusqu'au fond de l'âme
il me semble que je vais finir
par ne vivre que pour toi...

Depuis le Paradis, je t'observe
si belle que ton mari en est si fier...
tu es peut-être heureuse que je sois là
peut-être n'attends-tu qu'un éclair de folie...

Mais déjà, les lumières déclinent
tiens, il me semble que tu t'es retournée...
mais maintenant le noir se fait et il ne reste
plus rien d'autre qu'un sublime enchantement...

Et alors, vive la musique qui va...

(Traduction personnelle)




Images : Prima della Rivoluzione (Bernardo Bertolucci)

Tigre ! Tigre !

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"...into the heart of an immense darkness."







The Tyger

Tyger ! Tyger ! burning bright
In the forests of the night,
What immortal hand or eye
Could frame thy fearful symmetry ?

In what distant deeps or skies
Burnt the fire of thine eyes ?
On what wings dare he aspire ?
What the hand dare sieze the fire ?

And what shoulder, & what art.
Could twist the sinews of thy heart ?
And when thy heart began to beat,
What dread hand ? & what dread feet ?

What the hammer ? what the chain ?
In what furnace was thy brain ?
What the anvil ? what dread grasp
Dare its deadly terrors clasp ?

When the stars threw down their spears,
And watered heaven with their tears,
Did he smile his work to see ?
Did he who made the Lamb make thee ?

Tyger ! Tyger ! burning bright
In the forests of the night,
What immortal hand or eye
Dare frame thy fearful symmetry ?

William Blake, Songs of Experience





La Tigre

Tigre, tigre, oh bagliore
Nella notte, incendio che sei lume
Delle foreste, quale
Occhio o mano immortale
La simmetria della tua figura
Plasmò tutta paura ?

In quali abissi o cieli lontani
Si arroventò il fuoco dei tuoi occhi ?
Di quali ali ardisce avere il volo ?
Manipolano il tuo fuoco quali mani ?

E quale braccio artista, del tuo cuore
Torse le nervature ? Di Chi era
L’ inesorata mano che lo estrasse
Dal profondo braciere palpitante ?
Quali piedi tremendi misurarono
Il tuo scheletro orripilante ?

Chi fu il tuo maglio ? Chi la catena ?
Quale altoforno colò la tua mente ?
Chi fu l’incudine, chi la stretta dura
Che di abbrancarvi non ebbe timore,
Micidiali terrori ?

Quando le picche furono scagliate
Giù dal cielo irrorato
Dai pianti delle stelle, il Forgiatore
Guardando la sua opera – sorrise ?
Fece l’agnello e te un solo Creatore ?

Tigre, tigre, oh bagliore
Nella notte, incendio che sei lume
Delle foreste, quale
Occhio o mano immortale
La simmetria della tua figura
Plasmò tutta paura ?

Traduzione : Guido Ceronetti, Trafitture di tenerezza, ed. Einaudi






Le Tigre

Tigre, tigre, brûlant éclair
Dans les forêts de la nuit ;
Quel œil, quelle main immortelle
A pu ordonner ta terrifiante symétrie ?

Dans quelles profondeurs lointaines, dans quels cieux
Brûlait le feu de tes yeux ?
Sur quelles ailes ose-t-il se dresser ?
Quelle main osa saisir ce feu ?

Et quelle épaule et quel art
Put tordre les muscles de ton cœur ?
Et quand ton cœur commença à battre,
Quelle terrible main, quels terribles pieds ?

Quel fut le marteau, quelle fut la chaîne ?
Dans quelle fournaise était ta cervelle ?
Quelle fut l'enclume ? Quel terrible pouvoir
Osa en étouffer les mortelles terreurs ?

Quand les étoiles jetèrent leurs lances
Et abreuvèrent le ciel de leurs armes,
Sourit-il en contemplant son œuvre ?
Celui qui créa l'agneau te créa-t-il ?

Tigre, tigre, brûlant éclair
Dans les forêts de la nuit,
Quel œil, quelle immortelle main
Osa ordonner ta terrifiante symétrie ?

Traduction : Marie-Louise et Philippe Soupault 



Images : (1)  Site Flickr

(2)  Devesh Jagatram  (Site Flickr)




Soledades

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En el entierro de un amigo

Tierra le dieron una tarde horrible
del mes de julio, bajo el sol de fuego.

A un paso de la abierta sepultura
había rosas de podridos pétalos,
entre geranios de áspera fragancia
y roja flor. El cielo
puro y azul. Corría
un aire fuerte y seco.

De los gruesos cordeles suspendido,
pesadamente, descender hicieron
el ataúd al fondo de la fosa
los dos sepultureros...

Y al reposar sonó con recio golpe,
solemne, en el silencio.

Un golpe de ataúd en tierra es algo
perfectamente serio.

Sobre la negra caja se rompían
los pesados terrones polvorientos...

El aire se llevaba
de la honda fosa el blanquecino aliento.

– Y tú, sin sombra ya, duerme y reposa,
larga paz a tus huesos...

Definitivamente,
duerme un sueño tranquilo y verdadero.

Antonio Machado  Soledades






Per la sepoltura di un amico

Lo sotterrarono une sera a luglio,
orribile, sotto un sole di fuoco.

A un passo dall'aperta sepoltura,
c'erano rose dagli appassiti
petali tra gerani dal profumo
aspro e il fior rosso. Il cielo
puro e azzurro. Un vento
forte e secco spirava.

Due becchini calarono
nel fondo della fossa
una bara, sospesa a grosse corde
pesantemente...

E giacendo vibrò con secco colpo,
solenne, nel silenzio.

Il colpo di una bara in terra, ahimé
come risuona grave !

Sopra la nera cassa le pesanti 
zolle polverose si rompevano...

Il vento emanava il soffio cenerino
dal fondo della fossa.

– E tu, ormai senz'ombra, dormi e riposa,
sia eterna pace alle tue ossa...

Definitivamente,
dormi un sonno che sia tranquillo e vero.

Traduzione : Claudio Rendina






Pour l'enterrement d'un ami

On l'enterra un horrible soir 
de juillet, sous un soleil de feu.

Tout près de la tombe ouverte,
il y avait des roses aux pétales fanés 
parmi des géraniums rouges 
au parfum âpre. Le ciel 
était pur et bleu. Il soufflait
un vent fort et sec.

Suspendu à deux grosses cordes,
pesamment, les deux fossoyeurs 
descendirent au fond de la fosse
le cercueil...

Et il heurta le sol avec un bruit sourd,
solennel, dans le silence.

Le bruit d'un cercueil qui touche la terre
est toujours quelque chose de grave.

Sur la caisse noire se brisaient
les mottes de terre lourdes et poussiéreuses...

Le vent faisait remonter
du fond de la fosse un souffle cendreux.

– Et toi, désormais sans ombre, dors et repose,
que tes os trouvent la paix éternelle...

Définitivement,
dors d'un sommeil tranquille et véritable.

(Traduction personnelle)








Images : (1)Federico Romero  (Site Flickr)

(2) Federico Romero Galán  (Site Flickr)

(3 et 4)  Site Flickr




Buchi nella sabbia (Des trous dans le sable)

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Une ballade ironique et désenchantée du poète piémontais Ernesto Ragazzoni (1870-1920) :


Ballata

Se ne vedono pel mondo 
che son osti... cavadenti 
boja, eccetera... o, secondo 
le fortune, grandorienti ; 
c'è chi taglia e cuce brache, 
chi leoni addestra in gabbia, 
chi va in cerca di lumache, 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 
io fo buchi nella sabbia. 

I poeti, anime elette, 
riman laudi e piagnistei 
per l'amore di Giuliette 
di cui mai sono i Romei ; 
i fedeli questurini 
metton argini alla rabbia 
dei colpevoli assassini ; 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 
io fo buchi nella sabbia. 

Sento intorno susurrarmi 
che ci sono altri mestieri..... 
bravi ; a voi ! scolpite marmi, 
combattete il beri-beri, 
allevate ostriche a Chioggia, 
filugelli in Cadenabbia 
fabbricate parapioggia, 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 
io fo buchi nella sabbia. 

O cogliete la cicoria 
e gli allori. A voi ! Dio v'abbia 
tutti e quanti in pace, in gloria ! 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 
io fo buchi nella sabbia.

Ernesto Ragazzoni  Buchi nella sabbia e pagine invisibili, Einaudi, 2000






Ballade

On voit des gens de par le monde
qui sont aubergistes... arracheurs de dents
bourreaux, etc... ou, selon 
les fortunes, francs-maçons ;
il y a des gens qui coupent et cousent des pantalons,
qui dressent des lions en cage,
qui vont ramasser des escargots,
..............................................................
moi, je fais des trous dans le sable.

Les poètes, âmes élues,
font des vers passionnés et pleurnicheurs
pour l'amour de Juliette
dont ils ne sont jamais les Roméo ;
les flics loyaux
cherchent à endiguer la rage
des coupables assassins ;
............................................................
moi, je fais des trous dans le sable.

Autour de moi certains murmurent
qu'il existe beaucoup d'autres métiers...
Très bien ! Allez-y ! Sculptez dans le marbre,
combattez le béribéri
élevez des huitres à Chioggia,
des vers à soie à Cadenabbia
fabriquez des parapluies,
..........................................................
moi, je fais des trous dans le sable.

Ou récoltez de la chicorée
et des lauriers. Allez-y ! Que Dieu
vous garde tous dans sa paix et dans sa gloire !
..........................................................
moi, je fais des trous dans le sable. 

(Traduction personnelle) 








Images : en haut, Jason Prefontaine  (Site Flickr)

au centre, Thomas Pyle  (Site Flickr)

en bas, Site Flickr




Vittorio Gassman dit Buchi nella sabbia

Risa sotto la mitraglia (Rire sous la mitraille)

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Salutiamo ! Rintanati in una trincea, – irsuti e belli – figure di vivente fango ed anime di fuoco, – un gruppo d'uomini – soldati d'Italia, – col petto offerto alla morte pur si balocca colla morte. La mitraglia squarcia il cielo, la granata trasforma in un cratere in eruzione la terra che tocca, l'aria è piena di sibili e di tuoni, la fine può essere ad un passo, può essere tra un minuto, – e sulle labbra giovani, sulle labbra forse sul punto di chiudersi, il sorriso pur dura, e la celia, il frizzo, l'arguzia non s'aggelano. Le palle fischiano senza interruzione : « senti stamattina come i rusignoli cantano ! » dice uno. – Una bomba si affonda nella melma senza scoppiare. « La signora prende il suo bagno » un altro osserva, « ma si buscherà un raffreddore ». Un cannone, dalla vallata, tenta cogliere una posizione elevata. Lo si commisera : « è un tenore, ma poveretto, è costretto a cantare da basso ». E dinanzi ai fulmini, tra la ruina, sotto alle tempeste del piombo e del ferro, la risata non si tace, ma zampilla, pullula, si propaga, e la morte che guarda, la morte onnipotente che è da per tutto e il piú umile, se tocca, trasforma in eroe, la morte la rende questa risata sublime. 

Signori, salutiamo !

Ernesto Ragazzoni  Buchi nella sabbia e pagine invisibili  Einaudi Editore, 2000





Salut à tous ! Terrés dans une tranchée, — hirsutes et beaux — visages  de boue et âmes de feu, — un groupe d'hommes — soldats d'Italie, — la poitrine offerte à la mort et pourtant jouant avec la mort. La mitraille déchire le ciel, les obus transforment en cratère fumant la terre qu'ils touchent, l'air est plein de sifflements et de détonations, la fin peut être proche, à moins d'une minute peut-être, — et sur les lèvres qui sont sans doute sur le point de se fermer, le sourire demeure, et le rire, la plaisanterie, la boutade ne se figent pas. Les balles sifflent sans trêve : « écoute comme les rossignols chantent ce matin ! » dit l'un. — Une bombe s'enfonce dans la boue sans exploser. « Madame prend son bain » observe un autre, « mais elle risque d'attraper un rhume ». Un canon, depuis la vallée, tente d'atteindre une position élevée. On le plaint : « il a une voix de ténor, mais le pauvre ne peut chanter que d'en bas ». Et au milieu des éclairs, au cœur du désastre, sous les tempêtes de plomb et de fer, le rire ne se tait pas, mais il jaillit, il pullule, il se propage, et la mort qui regarde, la mort toute puissante et omniprésente qui lorsqu'elle frappe peut transformer le plus humble en héros, la mort rend ce rire sublime.

Messieurs, nous vous saluons !

(Traduction personnelle)







I dolori del giovane Werther (Les Souffrances du jeune Werther)

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"Perché mi svegli, soffio di primavera ?"





Il giovane Werther amava Carlotta 
e già della cosa fu grande sussurro. 
Sapete in che modo si prese la cotta ? 
La vide una volta spartir pane e burro. 

Ma aveva marito Carlotta, ed in fondo 
un uomo era Werther dabbene e corretto ; 
e mai non avrebbe (per quanto c'è al mondo), 
voluto a Carlotta mancar di rispetto. 

Cosí, maledisse la porca sua stella ; 
strillò che bersaglio di guai era, e centro ; 
e un giorno si fece saltar le cervella, 
con tutte le storie che c'erano dentro. 

Lo vide Carlotta che caldo era ancora, 
si terse una stilla dal bell'occhio azzurro ; 
e poi, vòlta a casa (da brava signora), 
riprese a spalmare sul pane il suo burro.

Ernesto Ragazzoni  Buchi nella sabbia e pagine invisibili  Einaudi Editore, 2000 






Le jeune Werther aimait Charlotte
et déjà la nouvelle fit grand bruit.
Savez-vous comment cet amour naquit ?
Il la vit une fois étaler du beurre sur du pain.

Mais Charlotte avait un mari, et par nature
Werther était un homme comme il faut et correct ;
et (pour rien au monde) jamais il n'aurait
voulu à Charlotte manquer de respect.

Ainsi, il maudit sa mauvaise étoile ;
hurla qu'elle était la cible et le centre de tous les malheurs ;
et un jour il se fit sauter la cervelle,
avec toutes les histoires qu'il y avait à l'intérieur.

Charlotte le vit alors qu'il rendait l'âme,
elle essuya une larme perlant sur ses beaux yeux bleus ;
et puis, rentrée au foyer (comme une bonne épouse),
elle se remit à étaler du beurre sur son pain.

(Traduction personnelle)






Images : en haut, Jonas Kaufmann dans Werther (Massenet)

au centre, gravure pour une édition des Souffrances du jeune Werther, de Goethe

en bas, François-Charles Baude (1880 - 1953), La Mort de Werther




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